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et là, de sorte que le tout forme le plus bizarre mélange d’arbres et de rochers qui se puisse imaginer. Je fus surpris de rencontrer un système d’irrigation très avancé. Je passai ensuite dans des montagnes escarpées parfaitement cultivées en terrasses. Il y a ici une ardeur pour le travail qui a balayé toutes les difficultés et revêtu tous les rochers de verdure. Ce serait insulter au bon sens que d’en demander la cause. La propriété seule peut faire de pareils miracles. Assurez à un homme la possession d’une roche nue, et il en fera un jardin. » Ces paroles sont d’une vérité constante et universelle ; elles trouvent leur justification dans tous les pays de montagnes où la petite propriété est depuis longtemps entrée dans les mœurs : les hautes cimes qui dominent le Milanais, les rochers abrupts du Wurtemberg en sont la preuve ; mais nulle part on n’en trouve de démonstration plus saisissante qu’en Toscane. C’est là que le précepte de Virgile, exiguum colito, acquiert toute sa valeur, soit que les montagnards consacrent leurs soins et leurs épargnes à quelques plants de vigne ou d’olivier, soit qu’ils élèvent une génisse, soit qu’ils cultivent un champ étroit conquis sur la forêt. Il est un proverbe italien, paradoxal en apparence, mais qui est cher à ces populations laborieuses : se l’aratro ha il vomere di ferro, la vanga ha la punta d’oro (si la charrue a un soc de fer, la bêche a une pointe d’or). Pour que ce dicton ne devienne pas dans la pratique une amère ironie, que de travail ne faut-il pas, que d’efforts, que de persévérance et de privations ! Mais la famille du montagnard toscan est à l’épreuve de tous les sacrifices, et, quand il s’agit de son enclos, rien n’est au-dessus de son énergie. Aussi ce régime de petite propriété envahit de plus en plus les montagnes ; il gagne chaque année quelque espace sur la forêt ; il n’est pas rare d’apercevoir, perdue au milieu des bois, une misérable hutte entourée d’un ou de deux arpens nouvellement défrichés ; on croirait voir le log-house d’un trapper du farwest américain ; c’est la petite propriété qui monte : phénomène heureux, s’il ne contribuait pas au déboisement des hauteurs !

Le développement très rapide de l’industrie dans les montagnes de la Toscane facilite aussi l’essor de ces populations. Tous ces versans recèlent de précieuses richesses minérales ; ils sont parcourus par de nombreux torrens qui donnent une force motrice presque gratuite. Ce sont là d’excellentes conditions pour le bien-être du pays et les progrès mêmes de la culture. Ici l’on rencontre des roches et des minerais connus et exploités dans l’antiquité, abandonnés dans les premiers siècles du moyen âge, repris sous les Médicis, délaissés depuis lors pour être attaqués de nouveau dans ces dernières années. L’histoire de ces minerais et de ces gisemens pourrait être l’histoire même de la grandeur et de la décadence de