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deviennent acides, des coagulations se forment, et alors survient cet état que l’on a désigné sous le nom de rigidité cadavérique. Ainsi altéré, le muscle n’est plus excitable ; mais, si à ce moment il est soumis à un courant de sang artériel, aussitôt il se répare, la rigidité cesse, les sucs musculaires reprennent leur composition première, et l’activité individuelle de la fibre se manifeste de nouveau. — Les expériences qui ont établi ce grand fait ont été tentées non-seulement sur des animaux, mais encore sur l’homme lui-même et dans des circonstances dont le récit n’est pas sans quelque difficulté ; le côté dramatique du sujet est assez vif par lui-même pour permettre une narration rigoureusement scientifique. Nous rapporterons ici les transfusions que M. Brown-Sequard exécuta sur deux individus décapités à Paris en juin et juillet 1851.

La première expérience fut pratiquée sur un homme de vingt ans. La décapitation avait eu lieu le matin à huit heures ; onze heures après, toute trace d’irritabilité avait disparu dans la plupart des muscles du corps. L’injection dans les vaisseaux fut commencée à neuf heures dix minutes du soir ; la quantité de sang — que l’opérateur avait fait tirer de ses propres veines — était suffisante pour une partie limitée du corps : aussi borna-t-il ses recherches à la main, L’injection fut faite par l’artère où l’on explore le pouls, un peu au-dessus du poignet et naturellement dans la direction des doigts ; elle fut d’abord poussée assez vite, puis lentement. Le sang, qui entrait vermeil, s’écoulait noirâtre de la veine, comme cela a lieu pendant la vie. L’opération se prolongea trente-cinq minutes, et, dix minutes après ce temps, l’irritabilité était revenue ; on pouvait déterminer artificiellement un mouvement dans les muscles de la main.

Sur le second décapité, l’injection fut faite avec le sang d’un chien vigoureux ; ce sang avait été préalablement privé de sa partie coagulable et battu à l’air ; il y en avait une livre environ. Le sujet était un homme robuste, d’une quarantaine d’années. La mort avait eu lieu également à huit heures du matin ; à dix heures vingt-cinq minutes du soir, la rigidité cadavérique était générale, il n’y avait aucune trace de contractilité sous l’influence des excitans. Le bras fut amputé, et à onze heures dix minutes M. Brown-Sequard poussa l’injection par l’artère brachiale. La peau prit d’abord une teinte livide, mais bientôt les bulbes des poils s’érigèrent, et la chair de poule se produisit. Cette circulation artificielle s’effectuait si bien que les veines du dos de la main présentaient un reflet bleuâtre ; des battemens semblables à ceux du pouls soulevaient l’artère principale du poignet, la vie musculaire renaissait ; les doigts cessèrent bientôt d’être raides, et à onze heures quarante-cinq minutes