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écriture, se rapprochent des populations du sud-ouest, et paraissent tenir de près à la race laotienne. Le gouvernement chinois a également respecté leurs usages.

Au premier rang des tribus qui descendent d’émigrés venus des autres parties de l’empire se placent les Penti-jen ; ceux-ci ont perdu au contact des Lolos la supériorité intellectuelle qu’une civilisation plus avancée leur donnait primitivement sur ces indigènes. Les Min-kias, répandus surtout dans l’ouest du Yunan, placent leur berceau dans la province de Nankin. Anciens soldats demeurés aux lieux où les avait appelés la guerre, ils y fondèrent une colonie relativement policée et même lettrée, qui avait une langue à elle, riche de monumens littéraires ; mais l’empereur de la Chine ne put tolérer longtemps un pareil signe d’indépendance, et donna l’ordre de brûler tous les livres des Min-kias. Les despotes, non moins sévères pour un livre que pour un complot, ont toujours poursuivi la pensée. C’est ainsi que le rude guerrier qui, 250 ans avant notre ère, inaugura la dynastie des Tsin, outré des résistances qu’il rencontrait chez les lettrés, des critiques qu’ils infligeaient à ses actes, fit incendier, pour fermer la bouche à ses censeurs, tous les livres d’histoire et de morale, et, des diverses sortes de caractères chinois alors usités dans l’empire, ne laissa subsister que le genre appelé li-chou, dont on se sert aujourd’hui[1]. C’est ainsi encore que les Tartares d’Europe s’efforcent de proscrire la langue polonaise en contraignant les enfans des vaincus à parler russe dans leurs écoles. Il faut dire cependant, pour être juste, que Tsin-chi-hoang-ti, qu’on peut appeler le principal fondateur de l’unité chinoise, ne s’inspira pas exclusivement, dans cet acte rigoureux de destruction, d’un sentiment de colère ou d’orgueil ; il agit plutôt en politique : il voulut sans doute effacer d’un seul coup l’histoire, toujours si puissants sur les imaginations, et anéantir les titres sur lesquels les princes feudataires vaincus auraient pu fonder leurs droits et perpétuer leurs prétentions.

Les Lolos, les Pai-y, les Penti et les Min-kias ne sont pas les seuls à vivre au milieu des Chinois du Yunan sans se confondre avec eux, comme les Khas au milieu des Laotiens ; mais je ne pousserai pas plus loin cette énumération. On dit, sans qu’il m’ait été possible de m’en assurer, qu’au point de vue de l’intelligence la gradation est encore bien marquée entre les différens habitans de cette contrée. Les missionnaires n’hésitent pas à placer les sauvages au dernier degré de l’échelle ; après eux viendraient les métis, issus de Chinois et d’indigènes, enfin les Chinois qui ont, à diverses époques, afflué au Yunan des provinces voisines et surtout du Set-chuen. La

  1. Gauhil.