Page:Revue des Deux Mondes - 1870 - tome 85.djvu/34

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
28
REVUE DES DEUX MONDES.


puis vous confesser tout cela maintenant que tout cela est fini, et je vous en parle sans réticence. Pour rien au monde, je ne l’eusse fait plus tôt, de peur de vous causer trop de chagrin. Aujourd’hui cette nuée de maux s’est dissipée, cette épaisse fumée s’est évanouie ; aussitôt que j’eus mis le pied à Gueuse, j’ai jeté bas la maladie et son cortége. Me voilà en pleine santé, délivré de la crainte des brigands par la saison qui s’approche, protégé d’ailleurs par une bonne garnison, décidée à les recevoir rudement s’ils se présentent. Quoique la contrée que j’habite soit bien solitaire et bien sauvage, toutes choses abondent autour de moi. Le cher et respectable Dioscorus se multiplie pour me faire plaisir, si bien que je suis obligé de réclamer sans cesse contre les prodigalités dont il use à mon profit ; à cause de moi, il s’est transporté à sa villa, et cela pour être plus à même de m’entourer de soins et mieux disposer à mon usage sa maison de ville pour l’hiver. La bienveillance de tous répond à la sienne… Aussi il ne me reste plus qu’un sourd ressentiment de mes souffrances, comme après une violente tempête de la mer les flots continuent à s’agiter, quand déjà les vents ne soufflent plus et que le calme s’est rétabli dans l’air. »

On était alors au commencement de septembre, et la neige tardait à se montrer sur les montagnes du Taurus ; aucun froid ne se faisait donc sentir encore dans la vallée. Cette douce température, jointe à la bienveillance qu’il lisait sur tous les visages, rendit à l’exilé force et contentement ; il sembla renaître, et pour Chrysostome les impressions morales étaient presque toute la vie. Dans le ravissement de son âme, il écrivait qu’il trouvait les hivers de Gueuse tout à fait semblables à ceux d’Antioche, et qu’il s’y portait mieux qu’à Constantinople. Cette agréable illusion ne devait pas durer ; en effet, quand, vers la fin de novembre, les neiges s’amoncelèrent dans la montagne, et que, le froid s’abattant sur la vallée, un vent glacial pénétra jusque dans les maisons, l’exilé vit Gueuse sous ses vraies couleurs. Dioscorus accourut calfeutrer sa demeure et lui enseigner avec quelles précautions il fallait se conduire vis-à-vis des hivers d’Arménie. Nous le retrouverons un peu plus tard luttant péniblement contre cette funeste influence et reconnaissant combien avait été prévoyant le choix de l’impératrice quand elle avait envoyé dans un tel lieu un Syrien débile et malade.

Une grande consolation attendait Chrysostome à Cucuse : il y trouva une de ses parentes, diaconesse de l’église d’Antioche, qui malgré son grand âge était venue du fond de la Syrie pour le voir. Dès la première nouvelle de son bannissement, quand le bruit courait qu’il devait être transporté en Scythie, elle avait formé le projet de l’y suivre ; puis, ayant connu le décret qui fixait sa résidence en