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chinoise ne nous inspirait qu’une assez faible confiance. Après être sortis de la ville par la porte de l’est, nous suivîmes un chemin qui serpentait entre des monticules couverts de tombeaux. Pas un nuage ne flottait entre nos regards et l’azur profond du ciel ; une herbe rare et grillée recouvrait les légères ondulations du sol ; quelques arbres survivaient auprès d’un mur rouge ou d’un pignon blanc, dont les couleurs scintillantes attiraient invinciblement les yeux. Nous aurions pu nous croire transportés dans les champs de la Provence.

Au lieu des étroits talus qui servaient de chemin au Laos pour traverser les rizières, nous trouvions ici une route dallée qui ne finissait même pas au pied des montagnes. Elle y pénétrait en conservant une largueur variable entre 1 et 3 mètres ; cela rappelle les voies romaines. De distance en distance, quand les pentes sont trop raides, quelques marches d’escalier facilitent l’ascension. Nous passons la nuit dans une pagode abandonnée, au pied d’une statue monstrueuse, toute mutilée et le ventre ouvert. En effet, le trésor des pagodes étant souvent caché dans le corps des statues, les mécréans ne se gênent pas pour leur faire subir ce traitement impie. Quand nous nous remettons en route, les nuages enveloppent encore le sommet des montagnes, et le soleil levant éprouve quelque peine à faire dans leur masse noire une trouée lumineuse. Nous apercevons des villages détruits et des pans de mur qui n’abritent plus personne ; pas une maison n’est debout, pas un hectare n’est en culture. Les interruptions dans le dallage de la route deviennent fréquentes et rendent la marche difficile. Parmi les énormes blocs de pierre qui constituent le pavé, les uns sont demeurés à la place qu’ils occupent depuis des siècles, les autres se sont enfoncés dans la terre ou bien ont roulé dans les ravins. C’est que le temps de ces magnifiques travaux est passé ; la machine administrative, jadis si bien montée, se détraque ; l’empire est menacé d’une dissolution générale ; le gouvernement n’a plus ni l’argent ni le loisir nécessaires à l’entretien de ces grandes œuvres exécutées jadis par des empereurs tout-puissans dont elles honorent encore le règne. Plus de vingt-deux siècles avant l’ère chrétienne, Chun, simple laboureur associé par Yao à l’empire, avait commencé d’opposer des digues aux eaux des fleuves extravasées sur les campagnes, et Yu, élevé sur le trône, comme Chun l’avait été lui-même, en considération de ses services et de sa valeur personnelle, acheva cette colossale entreprise. L’an 214 avant Jésus-Christ, Chi-hoang-ti jeta les fondemens de cette muraille fameuse dont la construction occupa pendant dix années plusieurs millions d’hommes, et que le père Amiot considère comme un monument éternel de la puissance des Chinois. C’est encore à Chi-hoang-ti qu’il faut rapporter l’honneur d’avoir fait