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qu’on eût pu s’accorder sur rien. Elle se réunit de nouveau le 4 janvier 1867.

Une vieille chronique rapporte que je ne sais quel shah de Perse, dans je ne sais quel siècle, ayant fait une guerre victorieuse, s’annexa quelques tribus des Beloutchis, et résolut d’incorporer les autres dans une confédération dont il serait le généralissime et le président. Par son ordre, les Beloutchis. envoyèrent des députés à Téhéran pour dresser le contrat. On eut peine à s’entendre. La pilule parut amère à ces petites gens, le grand-vizir qui traitait avec eux ne cherchait point à la dorer ; ils firent quelques façons, et en vérité ils disputaient sur des pieds de mouches. Un matin qu’il faisait grand vent, les esprits se mirent à l’orage ; des propos aigres furent échangés, le vizir se fâcha tout rouge et l’on se sépara très peu satisfaits les uns des autres. Or le soir de ce même jour, il y avait grande réception chez le shah et les plénipotentiaires y étaient conviés. Ils se présentèrent de bonne heure au palais, en habit de gala. En attendant que le shah parût, le maître des cérémonies eut fort à faire pour disposer convenablement son monde selon le cérémonial accoutumé. A Téhéran, l’étiquette est sévère ; à chacun sa case, et chacun doit s’y tenir. Les Beloutchis furent placés dans un coin du salon d’honneur, et ils n’étaient point mécontens de leur sort, quand un accident leur advint. Juste au-dessus de leurs têtes pendait un grand candélabre chargé de bougies enfermées dans des globes. Un craquement se fait entendre : un globe venait d’éclater. L’instant d’après, la bougie commence à couler, et, comme un malheur n’arrive jamais seul, la flamme, mise en liberté, surchauffe les globes voisins ; ils éclatent tous l’un après l’autre. Voilà nos Beloutchis les plus empêchés des hommes ; éclats de verre et bougie pleuvaient sur eux comme à plaisir. Que faire ? se reculer ? La muraille était là. Avancer d’un pas ? L’étiquette est une autre muraille. Sur ces entrefaites paraît le grand-vizir. Le maître des cérémonies, qui avait une âme compatissante, court à lui, lui explique le cas, montrant du doigt ces pauvres gens et leur piteuse contenance. Le vizir, qui avait encore sur le cœur l’altercation du matin, lui répondit avec un sourire noir : « C’est leur place, qu’ils y restent ! » Et debout, immobile, appuyant ses deux mains sur la poignée de son grand sabre de cavalerie, la tête portée en avant, la prunelle étincelante, il contempla longtemps d’un regard fixe les Beloutchis, sur qui le verre et la bougie continuaient à pleuvoir.

Non, rien de pareil n’a pu se passer à Berlin, bien que l’étiquette y soit sévère, surtout à l’égard des Beloutchis, et que les grands-vizirs n’y soient pas toujours commodes ; mais chaque pays a ses mœurs, et nous ne croyons pas un mot de certaines histoires qui