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beau employer tout ensemble les séductions et les armes du libéralisme le plus avancé, on aura beau dénoncer à tout moment aux badauds la « réaction cléricale-fédérale, » on échouera infailliblement dans une pareille tâche. La décentralisation, à laquelle aspirent de nos jours les états même les plus homogènes, est, à plus forte raison, la condition normale et légitime des peuples si divers de race et de langue que protège le sceptre de l’empereur François-Joseph, car, pour employer un mot célèbre de Mme de Staël au sujet de la liberté et du despotisme, en Autriche, c’est l’autonomie qui est ancienne, et c’est la centralisation qui est moderne. Au fond, elle ne date que de la révolution de 1848.

Est-ce à dire que, pour arriver à un accord si désirable, si impérieusement commandé, avec les populations non allemandes de la monarchie cisleithane, il faudrait revenir sur les deux années révolues, bouleverser de fond en comble l’édifice à peine élevé et supprimer la constitution du 21 décembre ? Non assurément. La constitution du 21 décembre doit être maintenue à tout prix ; elle garantit aux peuples d’Autriche des droits très précieux, elle est animée d’un souffle vivifiant et généreux qui ne peut manquer de produire des résultats excellens. Il s’agit seulement d’apporter au pacte de 1867 quelques modifications qui permettent aux Slaves de jouir des bienfaits d’une liberté commune ; il s’agit d’amener de ce côté de la Leitha l’apaisement et la conciliation qui règnent de l’autre côté de ce fleuve. Pourquoi le Reichsrath de Vienne ne ferait-il pas à la Galicie, à la Bohême, la même situation que le parlement de Pesth a su faire à la Croatie ? Pourquoi ne proclamerait-il pas pour la monarchie cisleithane une « loi des nationalités » pareille à celle qui a si bien réussi dans le royaume de Saint-Étienne ? Ce n’est pas certes le royaume de saint Etienne qui crierait au plagiat et y opposerait son veto, car, malgré tout ce qu’on a pu murmurer à Vienne au sujet de certaines connivences entre le comte Andrassy et le docteur Giskra, nous persistons à croire que les Hongrois sont trop intelligens et trop bons politiques pour ne pas souhaiter une Autriche calme et forte. Or l’Autriche n’a qu’un seul moyen de retrouver la tranquillité et la puissance : le discours du trône du 13 décembre vient de l’indiquer d’une manière suffisamment compréhensible, en demandant au Reichsrath d’assurer à la charte de 1867 « cette sanction générale et effective qui, à notre vif regret, lui manque encore à plus d’un égard, » et de prendre en considération « les vœux légitimes des royaumes et des pays de la monarchie qui aspirent à une certaine autonomie. »

Mais, nous l’avons dit, dès le lendemain même de l’ouverture du Reichsrath, le cabinet cisleilhan changea d’idée et de langage. Si nous sommes bien informés, le mémoire mystérieux remis par les cinq ministres repentans s’étend d’abord longuement sur les dangers du « fédéralisme, » en désignant de ce nom redouté toute atteinte portée au