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arrivé aujourd’hui à cette période critique et décisive où il ne s’agit plus de réclamations vagues et de récriminations stériles, mais où il faut mettre la main à l’œuvre pour affermir sans trouble et sans réactions nouvelles ce qu’on a conquis sans violence.

Ce n’est donc pas une situation mauvaise par elle-même, et c’est là justement ce que nous voulions préciser. Elle offre un terrain à la fois très large et nettement défini, où peut se déployer une politique s’inspirant des sentimens mêmes du pays, répondant aux grandes nécessités de cette transformation pacifique ; mais cette situation, qu’en fera-t-on ? Il faut évidemment, avant tout, éviter de la gaspiller, de la laisser se perdre dans de vagues et irritans débats ou dans des conflits d’ambitions et de vanités. On a malheureusement commencé par l’ensevelir sous un monceau de procédures parlementaires à propos de la vérification des pouvoirs. Pendant tout un mois, nous avons vu défiler les protestations, les contre-protestations, les circulaires, les signatures données, retirées, disputées par les uns et les autres. Dire que cette révision pénible d’une cinquantaine de scrutins vieux de sept mois a été d’un souverain intérêt, ce serait se hasarder beaucoup. Elle pouvait être instructive, elle a fini par fatiguer. Nos députés n’y ont pas songé, ils ont couru plus d’une fois le risque d’être des politiques peu amusans, surtout quand M. Bancel y ajoutait son éloquence sonore et théâtrale, très disproportionnée dans tous les cas avec le sujet. Mieux eût valu de toute manière une sérieuse et forte discussion se concentrant sur deux ou trois questions essentielles, celle des circonscriptions électorales, celle des candidatures officielles, et rejetant dans un juste oubli une multitude de détails subalternes, qui ont le tort de faire le procès du suffrage universel au moins autant que de l’administration et des candidats. Dans ce déluge de minuties et de discours, quatre ou cinq élections ont fait naufrage ; d’autres auraient mérité sans nul doute le même sort, et, si une parole aussi vive que juste eût suffi, M. Thiers eût notamment fait casser cette élection de Toulouse où les bizarreries ne manquaient pas, où M. Paul de Rémusat n’a été distancé d’ailleurs par son concurrent que d’un petit nombre de voix. Cela dit, prolonger ces débats, surtout quand l’esprit de parti commençait à s’en mêler, lorsqu’on en venait à condamner ou à innocenter les mêmes faits selon la couleur du candidat mis sur la sellette, c’était prendre la question par le petit bout et perdre son temps, lorsqu’il fallait arriver le plus promptement possible à la seule chose essentielle, la mise en pratique du régime nouveau, la formation d’un gouvernement. C’était là le point capital ; le reste n’était plus que d’une importance secondaire, et avait en outre l’inconvénient de faire naître des occasions de dissidence dans des groupes politiques encore assez mal liés. Sous ce rapport, la vérification des pouvoirs a été moins une chose utile qu’un embarras, puisqu’elle n’a servi qu’à obscurcir un peu plus l’état réel des partis en