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de choses que j’ai apprises d’eux (environ deux siècles et demi après les événemens). Si Dieu me le permet, ce que je dirai pourra servir à rehausser l’honneur de la confédération, et de chaque canton en particulier, et ne leur causera aucun dommage. » Avec de pareilles préoccupations, il est difficile de rester dans le vrai ; mais nous ne voulons pas relever les inexactitudes de l’excellent patriote. Nous transcrirons seulement, pour donner une idée de sa manière, l’anecdote de la baignoire telle qu’il l’a racontée ; on verra qu’il s’efforçait d’augmenter la vraisemblance de la tradition par le nombre et la précision des détails. Le Tarquin manqué qui joue ici le vilain rôle est appelé Wolfenschiess ; c’est Tschudi qui le premier lui a donné ce nom pour faire plaisir (il l’avoue dans une lettre) à ses amis d’Unterwalden.

« Cette même année (1307), au commencement de l’automne, Wolfenschiess, le bailli du roi qui résidait au château de Rotzberg, dans le Bas-Unterwalden, s’en fut à cheval au couvent d’Engelberg, et le lendemain, comme il en revenait, il rencontra, dans une prairie[1] où elle travaillait, la femme d’un brave paysan appelé Conrad de Boumgarten, qui demeurait à Altzelen. Altzelen est situé dans le Bas-Unterwald, sur la route qui conduit de Stanz à Engelberg, à peu de distance du village de Wolfenschiess, sur une colline.

« Cette femme était extrêmement belle, et le bailli, à la vue de sa beauté, s’enflamma d’une mauvaise passion. Il lui demanda ou était son mari. La femme répondit qu’il était parti et ne se trouvait pas à la maison. Il lui demanda quand il devait revenir. La femme, ne soupçonnant pas qu’elle eût rien à craindre pour elle-même, mais redoutant que son mari n’eût commis quelque délit pour lequel le bailli voulait le punir, puisqu’il tenait si fort à savoir où il était (car elle connaissait son caractère impitoyable), la femme répliqua qu’elle croyait que son mari resterait quelques jours absent, mais qu’elle ignorait combien de temps. Elle savait pourtant bien qu’il était au bois, et qu’il reviendrait chez lui à midi. Sur sa réponse, le bailli lui dit : « Femme, je veux entrer avec vous dans votre maison, j’ai quelque chose à vous dire. » La femme eut peur, mais elle n’osa cependant le contredire, et elle entra avec lui dans la maison. Alors il lui commanda de lui préparer un bain, parce qu’il était fatigué de son voyage et tout en sueur. La femme commença à comprendre qu’il ne s’agissait de rien de bon, et elle se prit en son cœur à désirer ardemment que son mari revint

  1. Dans l’histoire postérieure de Jean de Müller, cette prairie sera « émaillée de fleurs. »