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ébauche de sourire ironique effleura ses lèvres, et il baissa la tête.

Il était cinq heures moins quatre minutes ; la prison qui avait gardé le criminel le rendit à la justice, représentée par l’exécuteur. Les aides prirent le malheureux par les coudes pour le soutenir. « Non, dit-il, je marcherai tout seul. » En traversant le vestibule du greffe, il adressa un dernier adieu aux surveillans. À ce moment, l’exécuteur s’empara de lui en saisissant la courroie qui attachait les poignets, prêt à le soutenir s’il s’affaissait, à le pousser s’il reculait. On pénétra dans la cour. La grande porte, dont les verrous étaient tirés, fermait encore toute communication avec l’extérieur ; chacun des battans, poussés l’un contre l’autre, était tenu par un gardien. L’homme avançait aussi vite que le permettaient ses entraves ; à sa droite, un aide mettait machinalement la main sous son coude ; à sa gauche marchait l’aumônier, qui priait à demi-voix. Derrière venaient l’exécuteur, un aide, puis le directeur, le chef de la sûreté, le greffier de la cour impériale, quelques employés de la maison. Des soldats du poste, immobiles et comme consternés, regardaient, bouche béante. L’homme dit à deux reprises différentes : « Vous tous, pardonnez-moi, pardonnez-moi. » On avait dépassé le milieu de la cour ; les surveillans qui gardaient la porte l’ouvrirent d’un seul coup, et la guillotine apparut, rouge, sombre, horrible ; on ne voyait qu’elle, on eût dit qu’elle remplissait l’horizon. Ce moment-là, tout attendu qu’il soit, semble toujours inopiné, tant l’impression est violente ; les plus féroces, les plus endurcis parmi les criminels, — Lemaire, Avinain, — ont un involontaire mouvement de recul ; quelques-uns, — La Pommeraye, — sont envahis par une pâleur cadavérique qu’amène une dissolution anticipée ; d’autres, — Verger, — semblent mourir subitement et tombent sans force. L’homme jeta un coup d’œil indifférent sur les bois de justice, et, se tournant vers un des assistans qui lui avait témoigné quelque intérêt, il dit : « Je voudrais savoir votre nom. » La personne interpellée entendit mal sans doute, car elle ne répondit pas. L’aumônier lui répéta la question, et ajouta cette phrase d’une naïveté poignante : « Vous avez été bon pour lui, il voudrait conserver votre nom dans son souvenir. » A cet instant, on franchissait la porte. Il y eut un grand murmure dans la foule éloignée ; du haut de leurs chevaux, quelques gendarmes se penchèrent pour mieux voir ; le pauvre homme et l’aumônier s’arrêtèrent au pied de l’échafaud ; celui qui pardonne au nom de la justice divine embrassa celui à qui la justice humaine n’avait point pardonné ; le patient baisa le crucifix, et le prêtre s’éloigna rapidement.

L’exécuteur monta les dix marches et resta immobile sur la plateforme, à gauche de la bascule. Dans ses vêtemens noirs, il paraissait gigantesque ; un silence profond avait abattu tous les bruits.