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en face de l’échafaud. À chacun de ces incidens nouveaux, une émotion nouvelle vous saisit, car on sent que le drame s’accélère, et qu’il touche à sa fin.

Nul fonctionnaire de la prison ne s’est couché, ni le directeur, ni le greffier, ni les gardiens. Dans le premier guichet, on cause du condamné. C’est un homme qui va mourir, et qui peut-être avait encore de longs jours à vivre ; on le plaint sans même chercher quels ont été ses crimes. Chacun émet son opinion sur l’attitude qu’il aura au moment suprême, et la plupart disent : Il planchera (il montrera de la faiblesse). Un gardien arrive ; il vient d’être relevé de sa veille, il quitte le malheureux. À la fois tout le monde lui demande : Comment est-il ? — Il est triste, il ne dort pas, il est inquiet, il se méfie de quelque chose ; quand je suis parti, il m’a dit : Adieu, je vois bien que ça ne peut plus tarder ; nous ne nous reverrons pas, et cependant moi, à la place de l’empereur, je ferais grâce ! — Jusqu’à la dernière seconde, c’est là l’idée poignante qui les torture : aurai-je ma grâce ? pourquoi ne l’aurais-je pas ?

Le pâle crépuscule du matin a blanchi le ciel ; la foule est hideuse à contempler ; les faces hâves, fatiguées, ont un aspect morne et hébété qu’on ne peut guère voir sans dégoût ; elle s’ouvre pour laisser passer un petit homme vêtu d’une soutane ; on s’écarte avec respect, quelques têtes se découvrent, c’est l’aumônier. Rapidement, évitant de regarder l’échafaud, il se dirige vers la Roquette et pénètre dans le premier guichet. La justice elle-même, je l’ai dit, le prévient et l’invite à donner les consolations dernières à celui qui va mourir. Autrefois il n’en était pas ainsi. Barbare, violente, anticipant sur la volonté de Dieu, la justice française ne se contentait pas de tuer le corps, elle cherchait à tuer l’âme ; elle oubliait que saint Paul a dit : « Je condamne celui qui a péché, et je le livre à Satan pour la mort de sa chair, afin que son esprit soit sauvé au grand jour du Seigneur ! » Elle refusait au condamné l’assistance d’un prêtre qui pût rassurer ce cœur anxieux et lui donner l’absolution. Ce fut Charles VI qui, le premier, sur les instances de Pierre de Craon, promulgua, le 12 février 1396, une ordonnance qui déclarait qu’à l’avenir les condamnés à mort pourraient être confessés avant d’être menés au supplice. Entré dans le guichet, où chacun s’est levé à sa vue, l’aumônier dépose sur une planchette le surplis qu’il revêtira pour aller au cimetière donner l’absoute au corps sur lequel nulle prière solennelle ne sera dite dans les églises. Il échange quelques paroles avec les gardiens, il évite de parler du condamné, et, comme pour fuir les regards qui le cherchent involontairement, il s’asseoit dans un coin, absorbé par la lecture de son bréviaire.