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La ligne projetée est donc, au dire des ingénieurs, d’une exécution facile, les bénéfices qu’elle doit procurer sont faits pour tenter les capitalistes, le gouvernement turc en autorise la construction et garantit un intérêt élevé ; pourquoi donc ne s’exécute-t-elle pas ? C’est, dit-on, parce que la question politique s’y oppose, comme elle s’est toujours opposée à tout ce qui peut être utile à l’humanité. Voyons donc quels intérêts sont en présence et sur quels principes ils s’appuient.

D’abord la Turquie ne peut voir que d’un œil favorable toutes les entreprises qui attirent chez elle les capitaux et les hommes de l’Occident. Depuis qu’elle a compris qu’il n’y a de salut pour elle que dans l’appui des grandes puissances, ses préjugés se sont affaiblis, et nos idées se sont peu à peu infiltrées, sinon encore dans le peuple, du moins dans les classes les plus éclairées, qui envoient leurs enfans à nos écoles. C’est à la France et à l’Angleterre qu’elle a demandé des officiers pour organiser son armée, des ingénieurs pour former le conseil des travaux publics, des financiers pour établir un système administratif, des agens forestiers pour mettre en valeur les magnifiques forêts qu’elle possède. Sous ce rapport, elle a beaucoup à faire encore, mais enfin elle sent la nécessité de se transformer sous peine de périr. Elle n’ignore point qu’une entreprise comme celle du chemin de l’Euphrate n’aura pour elle que des résultats avantageux. Possédant des richesses naturelles immenses, elle ne peut en tirer parti faute de moyens de transport ; elle sait que toute voie nouvelle doit enrichir ses nationaux, accroître leur prospérité, et contribuer à fixer au sol les nombreuses tribus nomades qui ne reconnaissent l’autorité du sultan que nominalement. — Mais n’est-il pas à craindre qu’une compagnie étrangère soutenue par son gouvernement, s’administrant elle-même, employant des hommes de son choix, ne finisse par prendre dans l’empire une importance qui en compromette un jour la sécurité ? — Cette crainte pouvait être fondée à l’époque où préoccupée uniquement de ses intérêts, mue par des sentimens exclusifs, l’Angleterre cherchait tous les prétextes pour s’immiscer dans les affaires des autres pays et pour y peser de toute son influence. Elle n’en est plus là, et la politique qu’elle a suivie dans ces dernières années montre assez qu’elle n’est guère disposée à se créer bénévolement des embarras. La conduite qu’elle tient vis-à-vis de ses colonies prouve que ce n’est pas la soif des conquêtes qui la domine. D’ailleurs le gouvernement anglais s’est déjà prononcé au sujet de ce chemin de fer, puisque, tout en en reconnaissant l’utilité, il a déclaré qu’il ne le considérait que comme une entreprise particulière, et qu’il refuserait toute garantie d’intérêt et tout concours matériel. La compagnie se