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embarras. Il allait se retirer, lorsqu’à s’aperçut que le toit était supporté par une poutre allant d’un mur à l’autre. Séance tenante, il proposa au propriétaire d’acheter sa maison, et avant que la famille eût eu le temps de la quitter, les matelots avaient démoli le toit, enlevé la poutre et fabriqué un nouveau timon qui servit à conduire la chaudière jusqu’au point où commençait le transport par eau. Toutes les pièces des bâtimens arrivèrent heureusement à destination avant la saison des pluies ; plus tard, il eût été impossible de les transporter par des chemins détrempés.

Le lancement de l’Euphrate eut lieu le 25 septembre. Il avait fallu le construire parallèlement à la rivière, dont les rives à cet endroit ont 25 pieds d’élévation, et par conséquent le lancer de côté au moyen de trois glissoire. Deux chaînes attachées aux extrémités devaient en ralentir la course ; mais, l’une d’elles étant venue à se rompre, le bâtiment eût basculé, si le lieutenant Cleaveland n’eût eu la présence d’esprit de faire lâcher l’autre chaîne. Il glissa avec une grande rapidité et arriva heureusement jusqu’au fleuve, en éclaboussant les milliers de spectateurs qui étaient venus assister à ce spectacle. Les pavillons turc et anglais furent aussitôt arborés, et le chargement commença sans désemparer. Cependant ce ne fut que le 16 mars 1836, c’est-à-dire onze mois environ après le débarquement, que les bateaux à vapeur furent en état de naviguer, et que, pour leur course d’essai, ils remontèrent, pavillons déployés, l’Euphrate jusqu’à Bir. Ils saluèrent la ville de vingt et un coups de canon qui leur furent rendus par les pièces des remparts. Il est plus facile de concevoir que de dépeindre la stupéfaction des habitans à la vue de ces embarcations qui sans voiles et sans rames remontaient le courant. Après leur exclamation habituelle : « Dieu est grand ! » ils comparaient les bâtimens à une flèche lancée à travers l’eau par une force surnaturelle, et jetant le fleuve à droite et à gauche pour se frayer un passage.

Le temps avait d’ailleurs été mis à profit, par les uns pour faire le levé topographique de toutes les contrées voisines, par d’autres pour parcourir le pays et chercher à se concilier la bienveillance des populations riveraines du fleuve, par d’autres enfin pour visiter la chaîne du Taurus, en quête des mines de charbon qui pourraient s’y trouver ; mais ces recherches furent infructueuses.

Le 22 mars, l’expédition commença la descente ; elle se composait de dix-huit officiers et ingénieurs, de trois passagers et de cinquante canonniers et marins. Les premiers jours se passèrent sans incidens remarquables. Tout le long des rives, les Arabes accouraient pour voir les bateaux, qu’ils croyaient dirigés par une puissance mystérieuse ; souvent même ils venaient à bord en traversant le fleuve