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d’enthousiasme. Il navigua convenablement ; mais la machine n’était pas assez puissante pour qu’il pût remonter l’Oronte, car on était alors dans l’enfance de l’art en fait de navigation à vapeur. Il fallut y renoncer, démonter le bateau et s’en tenir pour le transport à la voie de terre. Entre Souédie, lieu du campement sur la Méditerranée, et le Port-William, sur l’Euphrate, on pouvait suivre deux routes : l’une, faisant un circuit et passant par Alep, devait servir au transport à dos de chameau des objets légers ; l’autre, beaucoup plus courte, était à ouvrir à travers le pays. Cette dernière se composait de trois sections : la première allait de Souédie au lac d’Antioche, la seconde comprenait la traversée du lac, enfin la troisième aboutissait à Port-William. Chacune d’elles fut confiée à des officiers spéciaux. Pendant que les uns étaient occupés à frayer les chemins, d’autres construisaient des chariots et des bateaux.

Dans les premiers temps, les habitans refusèrent tout concours, et l’on dut s’adresser aux populations placées sous l’autorité du gouvernement turc, qui avait donné à ses fonctionnaires l’ordre de favoriser l’expédition autant qu’ils le pourraient ; peu après, le vice-roi d’Égypte lui-même revint sur sa première détermination, et autorisa les habitans à prendre part aux travaux, à louer aux Anglais leurs chameaux et leurs bœufs, ce qu’ils firent d’ailleurs toujours à contre-cœur ; mais les difficultés n’en étaient pas moins extrêmes. Les moyens de transport se composaient de 4 wagons d’artillerie, de 27 wagons construits sur place et d’un grand nombre d’arabas ou chars du pays.

La grande chaudière pesait 7 tonnes, et il ne fallut pas moins de 40 paires de bœufs et de 100 hommes pour lui faire escalader la colline qu’on avait appelée colline de la difficulté. A certains passages, on dut fixer des ancres dans le sol, y attacher des pour les et tirer le chariot au moyen d’une corde pendant qu’avec des crics on le poussait par derrière ; on avançait pas à pas de quelques mètres par jour, et l’on répétait la même opération pour chaque voiture. La descente était presque aussi difficile, mais plus dangereuse que la montée, car il fallait retenir les voitures avec des cordes pour les empêcher de rouler dans le précipice ; à tout instant, elles se brisaient et exigeaient des réparations qui occasionnaient des retards sans fin. Dans l’un des plus mauvais passages, le timon de la voiture qui portait la plus lourde chaudière, attelée de 60 buffles, vint à se brisent C’était un grave accident, car, s’il n’était immédiatement réparé, hommes et buffles s’en allaient, laissant tout à l’abandon. L’officier qui commandait le convoi, ne sachant que faire, se dirigea vers la seule maison qui fût en vue pour demander aide. Il trouva la famille à table et peu disposée à s’inquiéter de son