Page:Revue des Deux Mondes - 1870 - tome 85.djvu/140

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

instant déterminés au mal par les influences sociales qui noua entourent, et que bien peu ont l’énergie voulue pour réagir victorieusement contre les courans vicieux qui les entraînent. Il ne faut pas tomber dans l’excès des théologiens qui ont enseigné la dépravation totale de la nature humaine, quitte à lui indiquer la voie de la régénération, comme si le miracle même était capable de régénérer une nature totalement corrompue. L’observation atteste que nous sommes égoïstes, mais capables d’aimer, naturellement sensuels, mais non moins naturellement attirés par la splendeur du vrai et du bien, très imparfaits, mais perfectibles. La première condition du progrès, c’est de sentir ce qui nous manque. Pour vivre d’accord avec la conscience, il faut savoir triompher des assauts que là sensualité égoïste, la chair et le sang, le monde et ses entraînemens nous livrent à chaque instant. Voilà le pouvoir diabolique dont il faut nous émanciper. En un sens, nous pourrions dire que nous sommes tous plus ou moins possédés. L’erreur commence dès que l’on veut faire une personne de cette puissance du mal. Quand les théistes disent que Dieu est personnel, ils ne méconnaissent pas ce qu’il y a de défectueux dans la notion de personnalité empruntée à notre nature humaine ; mais comme il est impossible de concevoir un autre mode d’existence que la personnalité et l’impersonnalité, comme Dieu doit posséder toute perfection, ils disent, — faute de mieux, — qu’il est personnel parce qu’il est parfait et qu’une perfection impersonnelle est une contradiction. Le mal au contraire, qui est l’antipode du parfait, est nécessairement impersonnel. C’est contre ses pernicieuses séductions, contre ses ensorcellemens toujours funestes qu’il faut lutter pour que notre vraie personne humaine, notre personne morale, se dégage victorieuse du fumier dans lequel il faut croître. C’est à cette condition qu’elle atteint les régions pures de liberté et d’inébranlable moralité où rien qui ressemble à Satan ne peut plus troubler l’ascension vers Dieu. Voilà tout ce qui reste de la doctrine du diable, mais aussi tout ce qui importe à notre santé morale, et ce qu’il ne faut jamais oublier.


ALBERT REVILLE