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voulait sortir du cercle où elle était enfermée, que par Humayta et par la route commencée sur la rive droite du fleuve, sur la limite du Grand-Chaco.

La situation était devenue très critique, d’autant plus que le jour même où la flotte brésilienne franchissait la passe de Humayta, le 18 février, la division du général Barreto s’emparait de la redoute de Cierva, poste intermédiaire entre Tayi et Humayta, et que, le 22, les navires cuirassés des Brésiliens, manœuvrant en route libre, venaient montrer leur pavillon à l’Assomption, sous les murs de la capitale, qui était désormais à leur merci. Les alliés étaient, sauf sur un ou deux points, les maîtres du cours du fleuve, depuis son confluent avec le Parana jusqu’aux extrémités du pays. Lopez sentit le péril, et peut-être comprit-il alors la faute qu’il avait faite en dépensant tant d’argent, tant de forces et tant d’hommes pour l’exécution de travaux et d’ouvrages qui devenaient un embarras plutôt qu’un appui, car il n’avait pas les moyens de les défendre et de les occuper, réduit qu’il était à 15,000 ou 20,000 hommes, à ordonna dès lors d’évacuer Curupaity et tous les ouvrages qu’il avait fait élever au sud du Tebicuary, ne réservant que la place de Humayta, où il laissa provisoirement une garnison de 3,600 hommes, laquelle devait être encore réduite plus tard, lorsque le dictateur aurait assuré sa retraite personnelle. Le 2 mars, en effet, sans plus tarder, il traversa Humayta, gagnant le Grand-Chaco, qu’il remonta pendant une vingtaine de lieues avant de repasser sur la rive droite avec les troupes et le matériel qu’il traînait à sa suite. Le passage se faisait de nuit, dans des circonstances qui devaient singulièrement humilier l’orgueil de Lopez. Aussi prétend-on qu’arrivé à ce degré de sa mauvaise fortune il eut l’idée d’abandonner la partie, de traverser le Grand-Chaco pour se rendre en Bolivie et de là en Europe. Si véritablement il agita cette résolution dans son esprit, on doit regretter qu’il ne l’ait pas suivie ; il eût épargné à son peuple, aux alliés, à lui-même, de douloureux sacrifices. Quoi qu’il en soit, nous le retrouvons bientôt au nord du Tebicuary, ayant établi son quartier-général en un point nommé San-Fernando, station de la route ordinaire du Paso de la Patria à l’Assomption. Alors, à force d’activité et d’énergie, il essaie de se refaire, il attend les chances que peut lui offrir encore la résistance de Humayta ; mais son humeur, déjà si cruellement aigrie, s’irrite encore, il ordonne de nouvelles extentions ; sous prétexte de conspiration, il fait arrêter son frère Benigno, qu’il garde enchaîné près de lui.

Les alliés le laissent d’abord dans cette position sans chercher à l’y inquiéter, tous leurs efforts sont alors concentrés sur Humayta, qui est devenu leur véritable objectif et qu’ils resserrent autant que