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niers, très peu échappèrent, à peine une douzaine peut-être. La misère commençait à se faire cruellement sentir dans le camp des Paraguayens ; ils achevaient les blessés pour s’emparer plus aisément de leurs sacs, de leurs armes, de leurs habits. Eux-mêmes ils n’eurent à regretter dans cette journée que des pertes insignifiantes.

À la suite de cet échec, les opérations actives restèrent suspendues jusqu’au mois de juillet de l’année suivante, pendant dix mois qui marquèrent un temps de douloureuses épreuves physiques et morales pour les alliés. D’abord leur entente parut très menacée. Des tentatives d’insurrection qui éclatèrent dans la confédération argentine entraînèrent le départ d’une partie de son contingent. Le général Mitre lui-même fut rappelé par ces circonstances à Buenos-Ayres en novembre 1866, et le bruit s’accrédita qu’il songeait à se retirer de l’alliance. On en disait ou on en faisait dire autant des Orientaux, qui ne pouvaient que très difficilement entretenir le corps de troupes déjà si faible par lequel ils étaient représentés dans le camp des alliés. Les Brésiliens étaient presque seuls à soutenir le fardeau de la guerre, et quand on comparait à l’importance des sacrifices consommés l’insignifiance des résultats obtenus, il ne paraissait pas déraisonnable de croire qu’ils allaient, eux aussi, abandonner l’entreprise. Une pointe qui les avait conduits dans un lieu pestilentiel, juste à 2 lieues de leur point de débarquement, c’était, avec l’occupation de Curuzu, tout ce que les alliés avaient pu faire depuis plus de deux ans que la guerre durait. Encore était-on bien maître, de ces deux points ? Lorsque vint la saison des hautes eaux, Curuzu fut complètement submergé par la crue du fleuve, et le camp de Tuyuti inondé. Pour comble d’infortunes, aux maladies qui sévissaient déjà sur les troupes vint s’ajouter le choléra, si bien qu’au mois de mai 1867 les hôpitaux des alliés contenaient plus de 13,000 malades, — plus que le tiers, la moitié peut-être de l’effectif réel. Dans une position aussi critique, que faire ? Évacuer, ou, si l’on avait le courage de la persévérance, rester sur la défensive, comme on y resta en effet, en perfectionnant les chemins et les établissemens.

La situation du maréchal Lopez n’était pas plus florissante. Les pertes qu’il avait déjà faites le mettaient à son tour dans l’impossibilité de prendre l’offensive. En réalité, il était épuisé d’hommes et obligé de prendre les enfans pour repeupler les cadres affaiblis de ses régimens. Il était contraint de supprimer plusieurs de leurs numéros pour recomposer des corps avec les débris de ceux qui avaient été le plus éprouvés. Dans sa détresse, le dictateur allait jusqu’à enrégimenter les femmes pour en faire des valets d’armée, une sorte de train des équipages militaires, qui transportaient le matériel sur leurs têtes ou sur leurs dos, quand elles n’étaient pas