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LA GUERRE DU PARAGUAY.

attendit longtemps, car ce fut seulement vers le milieu d’avril 1866, c’est-à-dire cinq mois pleins après le départ des Paraguayens, qu’ils franchirent à leur tour le Parana, sur un point nommé Itapiru et situé presque au confluent des deux fleuves, à 3 ou 4 kilomètres du Paso de la Patria, village qui sert de lieu d’entrepôt aux communications qui s’échangent entre les rives paraguayenne et argentine. Le maréchal Lopez, qui avait eu tout le temps de se préparer, avait couvert ce point de fortifications passagères, et il y avait amené une nombreuse artillerie ; mais lorsqu’il se vit pris en flanc par l’armée qui débouchait d’Itapiru et canonné de front par la flotte brésilienne, il prit le parti de se retirer dans l’intérieur en abandonnant presque sans combat aux alliés les magasins et une partie du matériel qu’il avait réuni en ce lieu.

À ce moment, l’armée alliée, commandée par le général Bartolome Mitre, président de la confédération argentine, pouvait se composer d’une cinquantaine de mille hommes. Celle que le maréchal Lopez lui opposait était fort inférieure en nombre, car, outre les 20,000 hommes que lui avaient coûtés les expéditions de Corrientès et de Matto-Grosso, elle avait déjà, au dire du colonel Thompson, qui servait avec elle, perdu une trentaine de mille hommes par les maladies et par suite des travaux extraordinaires que le maréchal Lopez faisait exécuter dans ce pays malsain. Malgré la rigueur extrême avec laquelle il poussait le recrutement, il ne lui restait plus guère que 30,000 hommes, moins peut-être.

Ne prenant que le temps d’établir leurs dépôts et d’organiser leurs moyens de communication avec la rive argentine, les alliés s’empressèrent de marcher à l’ennemi. Celui-ci, encore plein de confiance, leur épargna, comme on dit, la moitié du chemin en prenant lui-même l’initiative de l’attaque, les 2 et 24 mai, dans deux actions sanglantes où l’honneur des armes resta aux alliés, mais sans produire pour eux d’avantages bien sensibles. Les officiers paraguayens disent cependant qu’après la journée du 24 mai, la plus importante des deux à beaucoup près, leur armée était désorganisée, et qu’au lieu de s’arrêter, si les alliés avaient poursuivi leurs succès jusqu’au bout, ils n’auraient pas rencontré d’obstacles et seraient peut-être entrés dans Humayta à la suite des vaincus.

Cependant la poursuite était à peu près impossible sur ce terrain difficile, dans l’état où se trouvait l’armée alliée et avec les moyens dont elle pouvait alors disposer. Une victoire, même complète, désorganise toujours plus ou moins l’armée victorieuse, surtout quand le succès a été acheté par des pertes considérables. Ensuite les maladies sévissaient dans les rangs des alliés, qui se trouvaient déjà au mois de juin réduits à 30, 000 hommes. D’ailleurs les services étaient encore très imparfaitement organisés ; nous avons de cette