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mée, et fit jeter le général Roblès dans une prison pour le fusiller six mois plus tard, ainsi que ses deux aides-de-camp. Peut-être Roblès avait-il prévu les choses d’un peu loin, car Bruguez parvint à se maintenir dans le pays jusqu’à la fin du mois d’octobre. Les Argentins, que commandait alors le général Paunero, ne le pressaient point, ils avaient encore l’infériorité numérique, et ils n’exposaient qu’avec une prudence raisonnable leurs bataillons de nouvelles levées, très ardens, mais très inexpérimentés. Aussi, jusqu’à l’évacuation, la guerre se borna-t-elle à des escarmouches d’avant-garde, où de part et d’autre on déploya beaucoup de valeur, où l’on dépensa beaucoup de sang, mais sans en venir à un engagement sérieux.

Pendant ce temps, que devenaient les 12,000 hommes détachés sous les ordres du colonel Estigarribia ? Après une marche paisible, mais laborieuse, car elle avait à traverser des contrées désertes et inondées, cette division était parvenue sur les bords de l’Uruguay ; là, ayant épuisé ses provisions de bouche et rencontrant, bien qu’à un moindre degré, les mêmes difficultés que la division de Barrios au Matto-Grosso, elle avait été obligée, pour trouver à vivre, de se partager en deux colonnes qui descendirent les deux rives de l’Uruguay. Tandis qu’elles cheminaient péniblement, les gouvernemens du Brésil et de la Bande-Orientale s’efforçaient de réunir quelques ressources pour aller au secours de leurs territoires attaqués. Le premier prêt fut le général Florès ; il était plus proche du théâtre des événemens, et, par suite des circonstances où venait de se trouver la république de l’Uruguay, il avait sous la main quelques troupes disponibles. Se portant au-devant des Paraguayens par la rive droite de l’Uruguay, il rencontra, le 15 août 1865, l’une de leurs colonnes qu’il tailla en pièces au combat de Yatay. Presque tous ceux des Paraguayens qui ne furent pas tués ou blessés dans l’action tombèrent aux mains des Orientaux. Très peu de jours après, l’empereur du Brésil, accouru de Rio de Janeiro avec ses deux gendres, le comte d’Eu et le duc de Saxe-Cobourg, bloquait l’autre colonne paraguayenne dans la petite ville d’Uruguyana et la forçait à se rendre prisonnière de guerre le 5 septembre. Bien traités par les Brésiliens, les prisonniers, qui s’attendaient à être réduits. en esclavage, formèrent quelques mois plus tard une légion de l’armée alliée, qui combattit avec fidélité pendant toute la guerre.

Lorsque le maréchal Lopez connut ces événemens, il fit déclarer le colonel Estigarribia traître à la patrie ; en même temps, comprenant la gravité de la situation pour son armée, qui occupait encore le Corrientès, il lui donna l’ordre de repasser le Parana. Les Paraguayens étaient entrés en amis sur le territoire argentin, ce fut en ennemis qu’ils en sortirent. Ils rançonnèrent toutes les villes, pillé-