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Nous ne voulons pas dire que le sultan soit sur le point de faire faillite. La Turquie est un pays de ressources ; si elle peut éviter la guerres au dehors et les révoltes au dedans, si elle sait faire de certaines provinces hostiles un sacrifice volontaire qui lui sera payé en sécurité, il se peut qu’aidée et encouragée par les gouvernemens amis, elle arrive à ce point où les premières mises de fonds s’arrêtent, où l’industrie créée commence à produire ; mais quelle tâche immense pour des hommes aussi peu expérimentés que les Turcs en matière de constitutions libérales et de services publics ! Aussi, au point où les choses en sont, il est impossible de prédire absolument ni l’échec ni le succès.

Pour le moment, les états européens ne peuvent qu’encourager le gouvernement du sultan et lui faciliter la tâche qu’il a entreprise. Notre influence peut être grande, puisque nous possédons pleinement chez nous les institutions qu’il s’efforce d’introduire chez lui. Lorsque les Hellènes se constituèrent en royaume, ils voulurent établir dans leur pays une banque nationale bien organisée et dont le crédit fût fondé sur une bonne administration ; ils demandèrent le secours d’un gouverneur de la Banque de France, qui vint à Athènes fonder l’établissement nouveau. De toutes les institutions helléniques, c’est aujourd’hui la meilleure, la plus solide et la plus profitable. Les Turcs ont fait de même pour le lycée ottoman. Ils peuvent continuer dans la même voie, et il est certain que l’Europe applaudira tout entière à leurs efforts. Ils ont récemment concédé leurs chemins de fer à des compagnies étrangères, ils ont laissé des banques s’établir chez eux, ils viennent d’autoriser la création d’entrepôts de commerce dans leurs principaux ports. Tout cela appelle les étrangers et confond les intérêts ; mais c’est seulement lorsqu’un effort sérieux aura été fait, un succès obtenu pour l’unification des races, leur égalité devant la loi, pour la liberté des religions, la sûreté des propriétés, l’exacte administration des finances et de la justice, — c’est alors seulement que l’équilibre sera rompu en faveur des idées nouvelles, et que la Turquie sera entrée dans les voies de la civilisation. Jusqu’à présent, elle ne fait que les chercher.

Je ne pousserai pas plus loin cette étude des élémens sociaux et des forces morales qui s’agitent dans l’empire ottoman. On voit qu’en ce moment beaucoup de problèmes sont posés, et que pas un seul n’est résolu. Problèmes intérieurs et extérieurs, tous sont en suspens et pour ainsi dire enchevêtrés les uns dans les autres. Les relations de la Turquie avec les états de l’Europe dépendent de la façon dont elle résoudra ses questions intérieures, et la solution de ces dernières est liée au bon vouloir que les peuples