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de principes philosophiques, fourniront au sultan des hommes capables pour toutes les carrières.

C’est précisément ce qui manque aujourd’hui. Qu’est-ce qu’un pacha sauf quelques exceptions ? Une sorte de satrape ignorant, fanatique et orgueilleux. Ce personnage, sans instruction autre que celle des médrésés, est à la fois préfet, chef du cadastre, impositeur, répartiteur des impôts, percepteur, receveur et contrôleur. Conçoit-on chez nous une pareille anarchie ? Que demande-t-on à cet homme ? Un nombre déterminé de livres ou, comme on dit, de bourses, qu’il doit retirer de sa province et envoyer à Constantinople. C’est à lui de les extraire de la population dont il est le chef : s’il les paie exactement, on est satisfait de lui ; s’il peut y ajouter en présens quelque chose de plus, il sera récompensé comme un homme habile et fidèle. Quant à la réalité des sommes que le peuple paie, personne que lui ne la connaît et ne s’en inquiète, car il est à lui-même son propre contrôle. Qu’est-ce que le sultan ? Le pacha des pachas, le receveur et le contrôleur universel de son empire, comme il est le maître absolu des budgets. Un sultan honnête et prudent aura soin de ménager ses finances, de surveiller ses pachas par des missi dominici, d’épargner son peuple, mais après les Auguste et les Tibère peuvent venir les Caligula, les Claude et les Néron.

Quand l’instruction aura régénéré les peuples musulmans en y introduisant des principes de justice et quelques notions des droits de l’homme et du citoyen, alors seulement il sera possible d’établir l’ordre dans les finances, en y créant un contrôle à tous les degrés. Avant la révolution de 1789, le système financier de la France ressemblait un peu à celui de la Turquie ; nos fermiers-généraux ne valaient guère mieux que ses pachas ; le nom même de fermiers montre l’idée qui avait présidé à leur création ; les cris du peuple et ses vengeances de la fin du siècle prouvent de quelle manière ces offices étaient remplis. Un sultan habile et persévérant peut faire sans secousse ce que nous n’avons pu faire sans une révolution sanglante. A l’heure actuelle, certains élémens de réforme sont déjà prêts, les populations chrétiennes, quoique asservies, ont fait des progrès en toutes choses ; presque partout elles ont des écoles entretenues par elles ou par leurs coreligionnaires étrangers ; ceux-ci, qui sont libres, ont fait pénétrer au milieu d’elles ces idées d’égalité, de justice, de contrôle, de liberté personnelle, dont la population musulmane paraît si dépourvue. Par conséquent c’est principalement cette dernière qu’il faut instruire et accoutumer à voir des égaux dans les chrétiens, qu’elle méprise et opprime aujourd’hui. Quand on aura obtenu ce résultat par un enseignement bien dirigé, il sera