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nation comme la Turquie. Les fêtes des différentes communions y sont très nombreuses et tombent à tous les jours de la semaine ; il en résulte que les maîtres ont beaucoup de peine à réunir tous leurs élèves, et que, pour la plupart d’entre eux, la suite des leçons est brisée. L’inconvénient, moindre pour les lettres, est capital pour l’étude des sciences. La fondation de ce lycée est pourtant une des meilleures créations du nouveau gouvernement ; on espère qu’il deviendra tout à la fois un modèle pour la création d’autres collèges dans les principales villes de l’empire et une pépinière d’où naîtront des hommes capables pour tous les services de l’état. On n’habituerait pas facilement un vieux Turc à siéger dans un conseil à côté d’un vieux chrétien ; mais, élevés en commun, nourris à la même table, les enfans des chrétiens et des Turcs s’habitueront à l’égalité.

Du reste, la nature de l’enseignement dont la population musulmane a besoin a été fort bien comprise. On n’a pas imité les Grecs d’Athènes, qui se sont jetés dans la théorie pure, et dont toutes les études n’exigent que de l’encre, des plumes et du papier. Au temps où nous vivons, il faut bien l’avouer, un ingénieur rend plus de services qu’un archéologue ; on se rend plus utile en apprenant l’usage du graphomètre ou l’art de construire une machine qu’en feuilletant Callimaque ou en creusant les énigmes de Lycophron. Certes, on, serait mal venu à vouloir rabaisser les lettres au profit des sciences ; mais autant les premières sont excellentes chez un peuple qui peut se donner le luxe de les rémunérer, autant il est nécessaire de songer à quelque chose de plus substantiel et de plus immédiatement utile chez un peuple pour qui il s’agit d’être ou de n’être pas. Les Grecs libres ont pris d’abord conseil de l’Allemagne et ont créé des cours de théorie vague et d’érudition stérile ; leur pays est encore dépourvu d’hommes pratiques, tandis que les nouvelles générations devraient en fournir en abondance. Les Turcs semblent, d’après les conseils de la France, être entrés dans une voie meilleure. Tout récemment le sultan a ordonné la fondation dans tout son empire d’écoles modelées sur celles de notre pays. Il poursuit donc l’exécution des plans de Fuad-Pacha ; réussira-t-il malgré l’hostilité des gens de religion et des races privilégiées ? Trouvera-t-il des maîtres comprenant leur tâche et se dévouant à la remplir ? L’instruction publique semble préoccuper surtout le sultan et son grand-vizir : ils ont bien vu qu’en Europe toutes les améliorations et tous les progrès ont leur point de départ dans l’enseignement. La création en Turquie d’un grand système d’instruction publique libéral, scientifique et pratique, l’appel de maîtres étrangers intelligens, bien soutenus et honorés, feront plus pour régénérer et sauver cet empire que toutes les autres tentatives, car ces écoles, imbues