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l’Europe, commît une pareille méprise. Qu’est aujourd’hui la science musulmane dont les médrésés donnent les élémens ? Une scolastique basée sur le Koran. En quoi ce genre d’instruction peut-il répondre aux besoins des sociétés modernes ? Toute la science musulmane est subordonnée à l’institution ecclésiastique ; c’est une annexe de l’islam. Quand même le développement de ces écoles pourrait suffire à la société musulmane, qui jusqu’à présent n’a pas été en cela fort exigeante, jamais les médrésés ne répondront aux vœux de la société chrétienne, sur laquelle repose l’avenir de la Turquie. La preuve est faite : il y a des médrésés dans toute la Turquie d’Europe ; cela n’empêche pas les écoles chrétiennes de se fonder de tous côtés avec l’argent des Grecs ou de la Russie. Si l’on réformait les médrésés de manière que les enfans chrétiens pussent y venir, cela reviendrait à dire qu’on aurait supprimé les vieilles écoles en conservant seulement le nom.

On a publié récemment à Paris, sous le nom de Soirées de Constantinople, un livre rempli des paradoxes les plus étranges, et qui, nous l’espérons, ne fera illusion à personne. Cependant l’on connaît si peu chez nous ce qui se passe au loin, et surtout en Orient, qu’un livre de cette nature, rédigé avec la verve d’un journaliste militant, peut donner de la Turquie une notion exagérée et par conséquent fâcheuse pour elle. On y vante beaucoup la science musulmane d’autrefois, lorsqu’il est de notoriété que les savans mahométans du moyen âge n’ont guère été que les traducteurs et les compilateurs des Grecs, des Persans et des Indiens. Ce n’est pas cette science scolastique dépourvue de pratique et d’utilité qui peut sauver la Turquie. C’est comme si en France, dans les lycées et dans les écoles primaires, on donnait pour livres de classe des extraits de saint Thomas ou de saint Bonaventure. Il y a donc autre chose à faire que de replâtrer les petites coupoles des médrésés : il faut bâtir à neuf. C’est ce qu’a parfaitement compris le gouvernement turc en fondant le lycée ottoman de Constantinople avec l’aide du ministre de l’instruction publique en France.

Dans ce lycée, chaque enfant peut suivre sa religion paternelle ; aucune religion n’y est enseignée ; les classes y sont exclusivement consacrées aux lettres et aux sciences, et les enfans de toute race et de toute religion y reçoivent des leçons où il n’est question ni de Bible, ni d’Évangile ni de Koran. Quand ce lycée fut ouvert il y a à peu près deux ans, on eut quelque peine à obtenir des musulmans qu’ils y envoyassent leurs fils ; on dit même qu’il fallut, pour les y décider, un avis sévère du sultan. Ils s’y rendirent. Aujourd’hui le nombre de places qui leur est réservé est complètement rempli ; mais voyez à quels obstacles singuliers la diversité des cultes expose une