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I.

La politique extérieure de la Turquie a été résumée, il y a quelques semaines, dans un document apocryphe fait par une personne qui connaissait bien Fuad-Pacha et qui probablement est un Grec. Je veux parler du prétendu Testament politique de ce grand-vizir adressé sous forme de lettre au sultan. Cette pièce, publiée d’abord par le Levant Herald, a été reproduite par un grand nombre de journaux en Orient, et a causé dans ces contrées une certaine impression. L’auteur y passe successivement en revue, avec une justesse de coup d’œil bien remarquable, les relations de la Turquie avec le dehors et les causes de chute ou de rénovation qui s’agitent au dedans d’elle. Il résulte de cette analyse que l’empire ottoman n’a qu’un seul ami et un seul ennemi naturel et constant : le premier, c’est l’Angleterre ; le second, la Russie. Tous les autres pays se rapprochent plus ou moins de l’une et de l’autre, selon leurs intérêts divers ou leurs idées changeantes. Ce point de vue général est, je crois, incontestable ; mais l’Europe n’est pas une chose immobile et invariable, et la situation de la Turquie vis-à-vis des puissances peut éprouver le contre-coup des changemens qui se produiraient chez celles-ci par suite d’événemens intérieurs ou extérieurs. Par exemple, si la fin du pouvoir personnel en France décidait la Prusse à se rapprocher d’elle ostensiblement et sans arrière-pensée, cette alliance de peuple à peuple, plus solide que celles de souverain à souverain, entraînerait promptement une sorte de solidarité entre ces deux pays et l’Autriche, ce qui mettrait les questions danubiennes dans des conditions toutes nouvelles. Il s’ensuivrait immédiatement d’actives relations de ces trois peuples avec l’Orient par Constantinople, et la situation de la Turquie les préoccuperait aussi étroitement que l’Angleterre peut s’en préoccuper aujourd’hui.

Or un rapprochement de cette nature est non-seulement possible, mais probable, si l’on tient compte du souffle de liberté qui parcourt l’Europe en ce moment. En effet, parmi les bienfaits qu’il amène, celui-ci n’est pas le moins remarquable, que les peuples sont naturellement en paix les uns avec les autres et que les guerres ne sont plus produites que par les systèmes ou les convoitises des princes. Si les princes issus du suffrage des peuples restent ou redeviennent fidèles à leur origine, soit de bon gré, soit autrement, il est bien difficile qu’ils n’aient pas raison d’un petit nombre d’ambitieux qui rêvent encore la conquête.

La Turquie se trouverait alors placée sous la sauvegarde des