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Nous étions trop bien accoutumés d’ailleurs aux façons des autorités de ce pays pour redouter autre chose qu’un ennuyeux retard. M. de Lagrée dépêcha son interprète vers le roi de Sien-Hong, et nous attendîmes à Muong-Long. — Le marché qui se tient dans ce chef-lieu est assez considérable. On y vend beaucoup de coton, de tabac, de cire, de soie grège, des étoffes de coton importées par Rangoon, des objets en argent et en cuivre, des cloches, des poids et des balances, des denrées alimentaires. De grands restaurans se remplissent d’une foule bruyante aux costumes pittoresques et variés ; une dame de comptoir offre à tous ceux qui se présentent un bol rempli de riz roulé et coupé comme du vermicel, auquel elle ajoute du sel, du piment, des fines herbes, de la viande de porc hachée menue, le tout trempé par un bouillon de poisson qui se fait à côté de chaque table dans une immense cuve en fer. Nous voilà bien loin de ces villages du Laos où chacun vit dans un isolement si profond, qu’à l’exception des pagodes on ne rencontre pas un seul établissement public.

Nous avions le temps de visiter les monumens de Muong-Long. Des deux pyramides qu’on y voit, l’une ne mérite pas d’être décrite ; l’autre paraît au contraire sortir, par ses formes originales, de l’ornière où la religion, source unique de l’art dans ces contrées, a enfoncé l’architecture laotienne. Une tour ronde, élancée comme une quille, accostée à la base de huit tourelles plus petites surmontant des niches remplies de statues de Bouddha, couronne un monticule un peu à l’écart du village. L’ensemble ne manque pas d’une certaine élégance. Je ne puis comprendre d’ailleurs le sens de ces fastidieuses pyramides, qui, n’étant le plus souvent ni des tombeaux ni des temples, ne sauraient abriter ni les dépouilles des morts ni les prières des vivans.

Après quelques jours de halte forcée à Muong-Long, le mandarin nous apporta une lettre de Sien-Hong dans laquelle le roi de cette province limitrophe de la Chine cherchait à expliquer la brièveté brutale de son premier message. A l’en croire, les autorités chinoises lui auraient ordonné de barrer le chemin aux étrangers qui tenteraient de passer la frontière de l’empire. C’est ce qui nous avait déjà été dit à Luang-Praban. Le roi de Sien-Hong ajoutait sur un ton confidentiel que, si un ordre de l’empereur de la Chine ne nous paraissait pas sacré, il ne s’opposerait pas, quant à lui, à notre voyage.

Notre interprète avait été chargé de dire que nous ne passions nulle part sans combler les fonctionnaires de présens, sans les couvrir d’argent et d’or. Cet argument avait-il donc été assez fort pour produire une impression décisive sur l’esprit du roi, et celui-ci,