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était plus sévère et plus sobre d’ornemens. Ils portaient un turban, une veste, un pantalon large, et autour du cou un simple cercle en argent ; ils avaient de grands yeux noirs, des moustaches et des traits réguliers.

Les exigences d’une vie analogue fixée sur le même sol et soumise au même climat ont donné aux Laotiens, comme aux nombreuses tribus sauvages mêlées avec eux, des habitudes à peu près semblables. On ne peut rien conclure quant à la diversité des races de la différence des costumes, puisque nous voyons ceux-ci varier même en France d’un canton à un autre. Reste donc le langage. Les hommes exercés dans la science si intéressante et si nouvelle de la paléontologie linguistique trouveraient sans doute une source d’études fructueuses, à défaut de conclusions satisfaisantes, dans les documens recueillis sur ce sujet par M. de Lagrée ; ces documens qu’il pouvait seul réunir, puisqu’il était seul alors en mesure de communiquer, au moyen de son interprète cambodgien, avec les Laotiens birmans, et par l’intermédiaire de ceux-ci avec la plupart des tribus sauvages, ne sauraient trouver place dans le cadre de ce récit. Je me bornerai à une observation générale qui a déjà été faite au sujet de l’Indo-Chine tout entière, mais qui s’applique d’une manière spéciale à la partie septentrionale de cette vaste péninsule. A mesure que l’on se rapproche des montagnes gigantesques qui constituent ce qu’on pourrait appeler la colonne vertébrale du continent asiatique, il semble que le problème ethnographique devienne plus compliqué et plus insoluble. Des gorges profondes de l’Himalaya, comme des flancs d’une immense tour de Babel, sont sortis des flots d’émigrans, parlant toutes les langues, suivant au hasard les vallées des fleuves ; si plusieurs tribus sont descendues jusqu’aux rivages de la mer pour y former des nations, d’autres, plus nombreuses encore, n’ayant pu se résoudre à s’éloigner, sont demeurées errantes autour de leur berceau dans l’ouest de la Chine, le nord du Tonkin, du Laos et de la Birmanie. A la hauteur où nous étions parvenus, les Laotiens forment encore une nationalité organisée, compacte et relativement puissante ; bien qu’avertis d’avance du joug que leur ont imposé les Birmans, nous n’en apercevions pas encore les empreintes, mais elles allaient bientôt apparaître.

Nous étions depuis quelques jours à Muong-Line, respirant les miasmes qui s’élevaient des rizières inondées, et le chef du village, mandarin d’ordre inférieur, n’était pas venu rendre visite à M. de Lagrée. Craignant d’engager sa responsabilité, il attendait que le roi de Sien-Tong lui indiquât la conduite à tenir. Cette réserve, dont nous devinions facilement les motifs, commençait à nous inquiéter. Enfin il se présenta chez nous en grande pompe, vêtu d’un caleçon de