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dans cette région, le gouverneur veut nous donner, pour nous conduire au volcan, une escorte de dix hommes ; il pousse la prudence jusqu’à faire entourer pendant la nuit notre case, un peu à l’écart du village, par une armée de gardiens qui fument en causant jusqu’au matin, et chassent le sommeil beaucoup plus sûrement que n’aurait pu le faire la crainte du terrible carnassier.

C’est en vain d’ailleurs que nous cherchons des yeux les jets de lave, le panache de fumée et tout l’ensemble de désolation grandiose dont ce mot de volcan éveille la pensée. Nous ne voyons qu’une simple dépression du sol au sommet d’une petite colline boisée. La terre se fendille et s’affaisse comme si le feu la consumait intérieurement. Par de nombreuses crevasses, des fumarolles montent dans l’air, exhalant une odeur de soufre et de charbon de terre. Sur quelques points, des plaques jaunes de soufre cristallisé couvrent le sol. Le jour, on n’aperçoit point de flammes, mais il est à croire qu’elles apparaissent la nuit, comme il arrive au Vésuve, qui, lors même qu’il n’est pas en éruption, détache son flamboyant sommet dans la splendeur des nuits napolitaines. L’incendie souterrain s’étend peu à peu et brûle les racines des grands arbres, dont les squelettes attestent les progrès. Les deux collines assez rapprochées où sont situées les solfatares s’appellent Pou-faï-gniaï et Pou-faï-noï, grande et petite montagne de feu.

Ayant remarqué une grande quantité d’éléphans dans la plaine de Muong-Luoc, nous demandâmes au gouverneur de nous en prêter deux pour regagner les bords du Mékong. Ce Laotien trop bienveillant voulait nous retenir chez lui ; il s*obstinait à ne pas saisir les motifs qui nous forçaient de hâter notre marche. Attacher quelque prix au temps, c’est une infirmité qu’il ne pouvait comprendre. « Je n’ai pas envie de vous donner des éléphans, nous disait-il en plaisantant, la lenteur de leur allure vous impatientera, et vous les laisserez derrière vous pour courir comme des lièvres. Est-ce que vous avez quelque chose dans les jambes ? » Il finit cependant par céder à nos désirs, et, assis sur le clos de nos énormes bêtes, la tête effleurée par les feuilles d’arbres ruisselant de pluie, nous mîmes onze heures à franchir, par des sentiers où deux hommes ne pouvaient marcher de front, la chaîne de montagnes qui sépare le Ménam naissant du Mékong déjà plein de puissance et de grandeur.

A Tanoun, nous reprîmes des pirogues pour rejoindre l’expédition. Les habitans du village de Pacgnioï, où nous dûmes passer la nuit, nous entourèrent avec curiosité en nous accablant de questions sur les montagnes de feu. C’est à trois jours de chez eux ; cela les intrigue fort, et personne n’a pris la peine de s’y rendre ! L’espèce d’auréole que nous mettaient au front les prétendues flammes