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EXPLORATION
DU MÉKONG

V.
LA SAISON DES PLUIES DANS LE LAOS BIRMAN.

La ville de Luang-Praban avait été pour nous ce qu’est une oasis pour une caravane fatiguée d’une longue marche. Nous y avions fait une halte d’un mois, au sein d’une abondance relative. Passer les nuits sous le même toit et s’asseoir deux fois par jour à la même table, ce sont là des jouissances dont pour la première fois depuis Bassac il nous avait été donné de savourer la douceur. La vie nomade est contraire à la nature de l’homme, qui s’attache aux lieux par mille liens invisibles, comme l’arbre s’incorpore au sol par ses racines. Les peuplades même vivant sous des tentes que leur indifférence dresse chaque soir pour les replier chaque matin, se font une patrie du désert dont elles connaissent toutes les sources ou de la forêt dont elles vénèrent tous les vieux arbres. Marcher sans cesse devant soi, être assuré que jamais on ne reverra la terre que l’on foule, les hommes avec lesquels on échange d’affectueuses paroles, cette vie de Juif errant provoque une impression d’insurmontable tristesse, et fait songer malgré soi à ce type immortel du malheureux et du maudit. Nous avions, il est vrai, l’espoir de servir la science en ajoutant par nos recherches aux données qu’elle met en œuvre, et cette ambition valait sans doute celle qui poussait les