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femme représente la mère, l’épouse, la sœur ; elle seule peut avoir ces attentions délicates qui, n’en déplaise aux sceptiques, ont une influence décisive sur le moral du malade, et contribuent souvent à lui sauver la vie. J’ai sous les yeux un charmant livre intitulé Hospital Days, c’est le journal d’une dame qui durant la guerre a dirigé l’hôpital de Fairfax, à quelques lieues de Washington. Miss Jane Stuart Woolsey (j’espère n’être pas indiscret en trahissant l’anonyme) a fait en quelques pages la peinture vivante de l’hôpital américain. Deux anecdotes, prises au hasard, en donneront une idée juste.


« Les blessés français sont toujours gais, bons enfans et gracieusement polis. Charmoille, qui a eu le bras droit emporté, s’est appris lui-même à écrire élégamment de la main gauche, dans l’espoir d’obtenir une petite place quand il aura son congé. Louis L., amputé de la cuisse, ne reprenait pas de forces ; je lui dis un jour : « Ne pensez-vous pas à quelque chose que vous aimeriez avoir, à quelque chose que vous aimiez au pays ? — Madame, je n’ai besoin de rien ; j’ai ici tout ce qu’on peut désirer. — Essayez, pensez à quelque chose qui vous ferait du bien, peut-être pourra-t-on vous le procurer ? — Merci, madame, mais…, puisque vous me le demandez, deux gouttes devin rouge, du vin de mon pays, madame ; mais ça ne se trouve pas en Virginie ! » Avec la permission du médecin, permission donnée de bon cœur, on envoya tous les matins une petite ration de vin de Bourgogne ; c’était fête journalière pour le pauvre Louis ; il chantait une petite chanson sur le bon vin et le bonheur de mourir pour la patrie. Ces deux gouttes de vin rouge, c’était un rayon de soleil pour toute la salle.

Tous les malades aimaient les fleurs. On nous envoyait quelquefois des fleurs de serre ; des œillets blancs et rouges faisaient le bonheur d’un sergent malade ; il mourut en serrant la fleur dans ses doigts amaigris. Un matin de printemps, j’apportai les premiers lilas à un pauvre garçon de la Nouvelle-Angleterre ; il était bien malade. — « J’ai quelque chose pour vous, lui dis-je en tenant les fleurs derrière mon dos, quelque chose qui pousse devant la porte de votre maison, devinez ? — Des lilas, murmura-t-il, et je plaçai les fleurs sur ses mains jointes. — Oh ! dit-il, des lilas ! Comment avez-vous su cela ? » Les lilas vécurent plus longtemps que lui[1]. »



C’est du roman, dira-t-on. — Non, c’est de l’histoire. C’est ainsi que les choses devaient se passer sur une terre où la moitié de la nation combattait contre l’autre moitié. Dans cette crise formidable, il fallait faire appel à toutes les forces morales du pays pour soutenir l’énergie de l’armée. Ainsi l’ont pensé les femmes

  1. Hospital Days, New-York 1868, p. 131-132.