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de grands services ; je ne doute pas que notre administration n’introduise dans le service médical cet appareil ingénieux ; mais je ne puis me défendre d’une réflexion qui sans doute s’est déjà présentée à l’esprit du lecteur. A peine a-t-on émancipé la médecine militaire en Amérique, qu’elle se signale par des inventions éclatantes, qui toutes ont pour résultat d’adoucir la souffrance et de conserver la vie du soldat. L’hôpital flottant du docteur Hoff, le wagon-hôpital du docteur Harris, la voiture d’ambulance du docteur Howard, sont autant de conquêtes pour la science et pour l’humanité. D’où vient qu’en Crimée et en Italie nous n’avons rien fait de semblable ? Est-ce que nos médecins sont moins intelligens ou moins instruits que ceux d’Amérique ? est-ce que nos chirurgiens militaires ont moins d’expérience ? Non sans doute, leur stérilité tient à leur condition subalterne. Avec une intendance qui dispose seule des ambulances, des transports, des hôpitaux, comment veut-on que l’esprit du médecin s’éveille ? N’a-t-il pas le sentiment de son impuissance ? C’est la liberté d’action jointe à la responsabilité qui aiguise l’imagination ; elles seules enfantent ces créations admirables qui sont le salut d’une armée et la gloire d’un pays.

En veut-on la preuve ? Une des inventions les plus simples et les plus utiles des médecins américains, c’est l’agencement et la construction des hôpitaux ; mais l’hôpital sous tente et l’hôpital-baraque ont été essayés en Algérie longtemps avant la guerre d’Amérique, et si l’armée d’Orient n’a pas profité de cet excellent système, assurément ce n’est pas la faute de nos inspecteurs médicaux. Si on eût laissé faire Michel Lévy et Baudens, s’ils n’avaient pas eu les mains liées par l’administration, la France eût conservé des milliers d’hommes qui sont restés dans les cimetières de Turquie. Les Américains se sont approprié une invention française ; disons, pour être juste, qu’ils l’ont singulièrement perfectionnée. Rien de mieux calculé que leurs hôpitaux, composés d’une série de pavillons en bois, reliés entre eux par des galeries à claire-voie. L’espacement et l’orientation de ces baraques a été réglé de façon à fournir en abondance le grand agent hygiénique, l’air pur. Des tuyaux distribuent partout de l’eau froide, ainsi que de l’eau chaude provenant de la machine à vapeur qui sert à la buanderie. Des rails placés dans les corridors permettent de faire tous les transports au moyen de petits charriots. Au besoin même, on voiture de cette façon les invalides ou les malades qui vont au bain. C’est ainsi que les Américains ont remplacé le vieil hôpital massif, toujours infect et empoisonné, par des bâtimens légers, sains et sans odeur[1]. Grâce à cette aération parfaite, on a pu recevoir jusqu’à 3,000 malades dans un

  1. Goze, la Médecine militaire, etc., p.,.34 et suiv.