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négligé pour préparer la victoire : les canons rayés sont prêts, l’armement de nos soldats est supérieur à celui des Autrichiens, on a dirigé vers la côte des approvisionnemens considérables ; qu’a-t-on fait pour l’hygiène de l’armée ? Les souvenirs du siège de Sébastopol sont encore tout récens ; l’expérience faite par les Anglais a prouvé aux plus incrédules qu’avec une nourriture abondante et tonique, de bons abris, de l’air et des soins, on pouvait prévenir le typhus et le scorbut, et cependant l’intendance n’a pas changé ses traditions. La nourriture n’a pas été améliorée. Dans un pays ami et plein de ressources, dans la contrée la plus riche et la plus fertile de l’Europe, l’alimentation a été mauvaise et presque toujours insuffisante. Souvent nos divisions ont manqué de pain ; on l’a remplacé par la farine de maïs que les soldats ne savaient ou ne pouvaient accommoder. La nourriture la plus usuelle a été du biscuit, la boisson la plus ordinaire de l’eau avec un peu de café de mauvaise qualité. Aussi dès le mois de juin voit-on les hôpitaux envahis par des malades, atteints d’affections peu graves sans doute, mais qui laissent après elles une profonde débilité. Ces affections, les médecins n’hésitent pas à les attribuer au manque suffisant d’abri et surtout à l’insuffisance de la nourriture[1].

Si l’on n’a rien fait pour les soldats valides, s’est-on du moins inquiété des blessés et des malades ? A-t-on réorganisé les ambulances ? A-t-on suivi l’exemple des Anglais en établissant un corps d’infirmiers capables de seconder les médecins ? — Le 20 mai a lieu le combat de Montebello, qui donne un assez grand nombre de blessés ; on en transporte une partie à Voghera, d’où, après les premiers soins, on les évacue sur Alexandrie. Le 22, le médecin-major écrit de Voghera au baron Larrey :


« Demain il nous restera 180 blessés des plus graves, sans comprendre les entrans du jour. Je n’ai que 3 aides-majors avec moi, nous sommes sur les dents… Le service est mal organisé ; nous n’avons pas d’infirmiers ; quelques musiciens que personne ne commande ont été désignés pour remplacer les infirmiers absens, et ne nous sont pas utiles, parce qu’ils ne savent rien. Les malades sont mal couchés, mal nourris, mal soignés… Il faudrait au moins 8 médecins, 30 infirmiers, et un matériel suffisant[2]. »


Le 24 mai, le docteur Champouillon, médecin en chef du 1er corps, écrit de Montebello qu’il a fait garnir de paille les cloîtres et l’église, car on manque absolument de couchage ; il ajoute :


« J’ai prié M. l’intendant de se procurer 2,000 couvertures de laine

  1. Statistique de la campagne d’Italie, t. Ier, p. 171.
  2. Ibid., p. 41.