Page:Revue des Deux Mondes - 1869 - tome 84.djvu/85

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

a encore en effet dans le monde des races vertueuses, les Lithuaniens par exemple, les Dithmarses, les Poméraniens, races encore féodales, pleines de forces vives en réserve, comprenant le devoir comme Kant, et pour lesquelles le mot de révolution n’a aucun sens.

La première conséquence de cette philosophie revêche et superficielle, trop tôt substituée à celle des Montesquieu et des Turgot, fut la suppression de la royauté. A des esprits imbus d’une philosophie matérialiste, la royauté devait paraître une anomalie. Bien peu de personnes comprenaient, en 1792, que la continuité des bonnes choses doit être gardée par des institutions qui sont, si l’on veut, un privilège pour quelques-uns, mais qui constituent des organes de la vie nationale, sans lesquels certains besoins restent en souffrance. Ces petites forteresses où se conservent des dépôts appartenant à la société paraissaient des tours féodales. On niait toutes les subordinations traditionnelles, tous les pactes historiques, tous les symboles. La royauté était le premier de ces pactes, un pacte remontant à mille ans, un symbole que la puérile philosophie de l’histoire alors en vogue ne pouvait comprendre. Aucune nation n’a jamais créé une légende plus complète que celle de cette grande royauté capétienne, sorte de religion, née à Saint-Denis, consacrée à Reims par le concert des évêques, ayant ses rites, sa liturgie, son ampoule sacrée, son oriflamme. A toute nationalité correspond une dynastie en laquelle s’incarnent le génie et les intérêts de la nation; une conscience nationale n’est fixe et ferme que quand elle a contracté un mariage indissoluble avec une famille, qui s’engage par le contrat à n’avoir aucun intérêt distinct de celui de la nation. Jamais cette identification ne fut aussi parfaite qu’entre la maison capétienne et la France. Ce fut plus qu’une royauté, ce fut un sacerdoce ; prêtre-roi comme David, le roi de France porte la chape et tient l’épée. Dieu l’éclairé en ses jugemens. Le roi d’Angleterre se soucie peu de justice, il défend son droit contre ses barons; l’empereur d’Allemagne s’en soucie moins encore, il chasse éternellement sur ses montagnes du Tyrol pendant que la boule du monde roule à sa guise; le roi de France, lui, est juste : entouré de ses prudhommes et de ses clercs solennels, avec sa main de justice, il ressemble à un Salomon. Son sacre, imité des rois d’Israël, était quelque chose d’étrange et d’unique. La France avait créé un huitième sacrement, un sacrement qui ne s’administrait qu’à Reims, le sacrement de la royauté. Le roi sacré fait des miracles; il est revêtu d’un « ordre; » c’est un personnage ecclésiastique de premier rang. Au pape, qui l’interpelle au nom de Dieu, il répond en montrant son onction : « Moi aussi, je suis de Dieu ! » Il se permet avec le successeur de Pierre des libertés sans égales. Une fois il le fait souffleter et déclarer hérétique ; une autre fois il le menace de le faire