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droit par la contrainte… » Et il ajoute que l’armée prussienne constitue actuellement une classe à part, un état dans l’état ; on ne peut trouver quelque chose d’analogue, dit-il, que dans l’église romaine du moyen âge, qui, pour tout ce qui concernait les personnes et les maximes d’administration, refusait obéissance aux lois civiles.

C’est à ce point de vue qu’il convient d’apprécier le fameux conflit que suscita la nouvelle loi militaire et qui fit si grand bruit. Il semble d’abord qu’il s’agissait dans cette querelle de cinq ans d’une simple question d’économie et de compétence, le roi s’attribuant la faculté de réformer l’armée sans avoir à demander à la chambre autre chose que les subsides nécessaires, la chambre revendiquant d’une part son droit de voter sur le principe, et de l’autre s’opposant aux nouvelles charges qu’on allait faire peser sur le pays. Des intérêts plus importans encore étaient engagés dans le débat : le projet de réforme était un pas de plus dans la voie du militarisme, une atteinte grave a ce qui pouvait rester de libéral dans l’institution. La partie vraiment nationale d’une armée est la landwehr. ; le soldat en service actif a pour patrie ses quartiers, pour magistrat le drapeau ; il sent plus ou moins la caserne, et il aspire peut-être au bivouac. Une loi militaire est libérale en raison inverse de la durée qu’elle assigne au service actif ; la plus libérale de toutes est celle qui ne retient le citoyen sous les drapeaux que le temps strictement nécessaire pour son instruction, et qui se hâte de le renvoyer dans ses foyers en ne le soumettant plus qu’à un service intermittent. À ce compte, l’homme ne fait que traverser la caserne, il n’a pas le temps d’y oublier qu’il est citoyen ; c’est à l’état de lui rappeler dans l’occasion qu’il est soldat. Une telle armée peut faire merveille dans une guerre défensive ou patriotique. Ces réserves et cette landwehr qui, aidées d’héroïques volontaires, ont contribué si puissamment à renverser Napoléon Ier, n’avaient eu qu’une instruction très courte. L’impitoyable vainqueur d’Iéna avait interdit à la Prusse d’entretenir sous les drapeaux plus de 42,000 hommes. Pour éluder cette tyrannique exigence, Scharnhorst créa des cadres permanens où de nouvelles recrues se succédaient sans cesse à de courts intervalles. Au bout de trois ans, on avait 150,000 hommes prêts à entrer en campagne. En Prusse, il suffit de quelques mois pour fabriquer un soldat. On l’a bien vu en 1813 ; mais un gouvernement qui pour se battre a besoin de sa landwehr doit renoncer aux guerres de fantaisie. La landwehr est une armée qui se marie, qui a ses chaumières et ses charrues, qui raisonne aussi, qui a tout à la fois des affaires et des idées. À plusieurs reprises depuis 1815, l’armée prussienne avait été mobilisée, et la landwehr avait paru se demander si c’était bien la peine, si on avait eu des raisons suffisantes