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est prête à essayer de tout, à s’allier même avec la révolution quand il y a gros à gagner. En 1866, les féodaux ont eu peine à pardonner à leur roi son entreprise contre la légitimiste Autriche, son alliance avec l’Italie, qui était une mésalliance ; leur conscience s’alarma, et pour accepter les annexions ils ont dû raisonner beaucoup. Heureusement un Prussien ne raisonne jamais en vain ; si rigides que soient ses principes, sa conscience finit par se réconcilier avec son bonheur. Le roi Guillaume disait aux Hanovriens : « Je vous prends, parce que la Providence le veut et que je dois une indemnité à mes peuples. » De leur côté, les nationaux-libéraux leur disaient : « Vos princes sont peu regrettables, c’étaient des despotes. N’êtes-vous pas heureux et fiers de faire partie d’un grand pays qui sera libre un jour ou l’autre… plutôt l’autre, mais qu’importe ? — Hanovriens, s’écriait à son tour la Gazette de la Croix, vous regrettez vos princes légitimes, ce sentiment vous honore ; cependant il est bon de considérer que les volontés de Dieu sont supérieures à toutes les légitimités humaines. Dieu vous a donnés à la Prusse pour vous châtier ; vous aviez péché contre lui de diverses manières, surtout en refusant ce. catéchisme que votre roi voulait vous imposer, catéchisme purifié de tout accommodement avec le siècle et qui enseignait la doctrine du diable et des peines éternelles dans toute sa sainte crudité. Considérez aussi que les petites monarchies allemandes étaient des boulevards insuffisans contre les deux fléaux des sociétés modernes, la démocratie et la libre pensée. Vous n’étiez pas assez protégés, vous le serez bien mieux par cette glorieuse royauté prussienne, qui est ici-bas le champion de Dieu, le bras du conservatisme religieux et politique. » Que de consolations variées reçoivent de toutes parts les Hanovriens ! Hélas ! Rachel refuse de se laisser consoler.

Le parti libéral est loin d’offrir la même consistance que ses adversaires. D’abord il s’affaiblit par ses divisions intestines, que les événemens ont envenimées. L’accord est difficile entre les nationaux-libéraux, pour qui l’unité de l’Allemagne est une affaire qui a le pas sur toutes les autres, et les progressistes, qui, sans renoncer à l’unité, ne la croient possible que par la liberté. Les uns et les autres ont à se défier du socialisme, lequel a fait de rapides progrès dans la classe ouvrière, et se compose lui-même de sectes diverses, dont les unes arborent les couleurs de la république, tandis que les autres professent l’indifférentisme politique, et dont les intrigues et les violences ont fait souvent le compte du gouvernement. Il y a peu de semaines, l’un des chefs et le plus éloquent orateur du parti progressiste, M. Lœwe, avait essayé de porter devant une assemblée populaire la question du désarmement général. Le meeting pacifique a été dissous par des bandes de socialistes armés de gourdins. L’un d’eux a cru devoir expliquer qu’on aurait