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qu’on chercherait vainement ailleurs. Il a une capitale de plus de sept cent mille âmes, et dans cette capitale on a peine à découvrir un oisif vivant en rentier ou en curieux, vivant pour le plaisir de vivre ; tout le monde s’y croit obligé de faire quelque chose, chacun sert l’état ou à l’armée, ou à la cour, ou dans l’administration, ou dans quelque fonction gratuite qui lui dévore ses loisirs ; tous, tant qu’ils sont, ils trouvent naturel que l’état prenne sur leur temps, sur leurs affaires. Ils se plaignent quelquefois, et ne laissent pas d’obéir ; ils jugent leurs maîtres, et ils obéissent ; ils raisonnent, ils discutent, ils ergotent, et ils obéissent. Que s’il éclate quelque crise qui mette l’état en danger, chacun est à son poste, prêt à faire son devoir et plus que son devoir, et ils se montrent capables de tous les sacrifices, ils acceptent toutes les charges et toutes les fatigues ; . on leur a enseigné à faire sans enthousiasme des choses grandes et difficiles.

Il exprimait bien la pensée de son pays, ce Berlinois qui disait : « Nous avons beaucoup pâti en 1866, et nous pâtirons encore ; mais cette guerre qu’on a décidée sans nous, que nous avons faite malgré nous, a eu d’excellens résultats. Il est bon que les peuples souffrent, cela les pousse à l’effort. La Prusse était trop heureuse, elle commençait à s’endormir, Sadowa l’a réveillée. Nous avons tiré aussi de leur béate quiétude ces petits états, nos voisins, qui vivaient tranquilles, au jour le jour, sans soucis, presque sans impôts. Ils en paient beaucoup aujourd’hui, cela les forcera de s’évertuer. Heureux les états du sud si une nouvelle secousse les guérissait de leur grasse et indolente prospérité, et pouvait leur apprendre qu’il y a pour les peuples quelque chose de préférable au bonheur ! »

Comment nier que le Mein soit une frontière ? Il sépare deux idées, deux politiques. Au nord, on fait passer l’état avant la société, au midi la société avant l’état ; au nord, on accepte l’effort comme la loi suprême de la vie ; au midi, on prend très bien son parti d’être heureux.


II

Pour expliquer le génie propre de la Prusse, on a prétendu que les Prussiens ne sont pas des Allemands, de vrais Allemands, qu’ils ont été fortement mélangés de sang slave, qu’ils descendent des Sorbes, des Obotrites, des Wiltzes ou Welatabs, de ces tribus wendes qui occupaient jadis le territoire compris entre l’Elbe, la Vistule et la Baltique. Il est permis aux patriotes hanovriens de se souvenir que la ville de Brandebourg s’appelait au Xe siècle Brannybor et qu’elle était la résidence, d’un prince wende, Tugumir, qui opposa une vigoureuse, résistance à Henri l’Oiseleur. Ils ont