Page:Revue des Deux Mondes - 1869 - tome 84.djvu/78

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Le passé nous apparaît comme un dessein suivi, où tout se tient et s’explique. L’avenir jugera notre temps comme nous jugeons le passé, et verra des conséquences rigoureuses où nous sommes souvent tentés de ne voir que des volontés individuelles et des rencontres du hasard.

C’est dans cet esprit que nous voudrions proposer quelques observations sur les graves événemens accomplis en cette année 1869. La philosophie que nous porterons dans cet examen n’est pas celle de l’indifférence. Nous ne nous exagérons pas la part de la réflexion dans la conduite des choses humaines; nous ne croyons pas cependant que le temps soit déjà venu de déserter la vie publique et d’abandonner les affaires de ce monde à l’intrigue et à la violence. Un reproche peut toujours être adressé à celui qui critique les affaires de son siècle sans avoir consenti à s’en mêler; mais celui qui a fait ce qu’un honnête homme peut faire, celui qui a dit ce qu’il pense sans souci de plaire ou de déplaire à personne, celui-là peut avoir la conscience merveilleusement à l’aise. Nous ne devons pas à notre patrie de trahir pour elle la vérité, de manquer pour elle de goût et de tact; nous ne lui devons pas de suivre ses caprices ni de nous convertir à la thèse qui réussit; nous lui devons de dire bien exactement, et sans le sacrifice d’une nuance, ce que nous croyons la vérité.


I.

La révolution française est un événement si extraordinaire que c’est par elle qu’il faut ouvrir toute série de considérations sur les affaires de notre temps. Rien d’important n’arrive en France qui ne soit la conséquence directe de ce fait capital, lequel a changé profondément les conditions de la vie dans notre pays. Comme tout ce qui est grand, héroïque, téméraire, comme tout ce qui dépasse la commune mesure des forces humaines, la révolution française sera durant des siècles le sujet dont le monde s’entretiendra, sur lequel on se divisera, qui servira de prétexte pour s’aimer et se haïr, qui fournira des sujets de drames et de romans. En un sens, la révolution française (l’empire, dans ma pensée, fait corps avec elle) est la gloire de la France, l’épopée française par excellence; mais presque toujours les nations qui ont dans leur histoire un fait exceptionnel expient ce fait par de longues souffrances et souvent le paient de leur existence nationale. Il en fut ainsi de la Judée, de la Grèce et de l’Italie. Pour avoir créé des choses uniques dont le monde vit et profite, ces pays ont traversé des siècles d’humiliation