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crises de l’agriculture tenaient à d’autres causes. Qu’on se figure un instant d’ailleurs ce que produirait aujourd’hui un retour en arrière ; nous ne parlons pas de cette étonnante bizarrerie d’une réaction commerciale coïncidant avec une marche politique en avant. Ce serait une vraie révolution d’intérêts, un bouleversement de rapports et d’habitudes dont le public consommateur en définitive paierait les frais. Ceux qui se plaignent de l’état actuel le sentent si bien qu’ils ne parlent plus du rétablissement du régime protectionniste ; ils se déclarent à demi convertis, ils ne veulent plus de droits protecteurs ; ils ont trouvé un nouveau mot, ils ne parlent désormais que de droits compensateurs, et ce qu’ils demandent avant tout, c’est l’abrogation du traité avec l’Angleterre, qu’ils poursuivent comme le grand ennemi. Soit, mais pense-t-on que l’Angleterre et les autres pays se tiendront tranquilles, qu’ils répondront à nos procédés par des complaisances ? Imagine-t-on qu’ils ne trouveront rien à opposer à nos droits compensateurs, qu’ils ne défendront pas leurs marchés ? Ils se défendront, et ce sera la guerre suivie de crises nouvelles, de perturbations ruineuses. La prospérité factice de certaines industries sera payée du désastre des autres. Ne vaudrait-il pas mieux laisser de côté toutes ces thèses extrêmes, accepter sans équivoque les principes de la liberté commerciale, et entrer en commun dans l’examen d’une situation difficile ? Le progrès n’est point apparemment de rétrograder aujourd’hui ; la vraie politique, c’est de dégager l’industrie des entraves qui la gênent dans son essor, de la stimuler par la facilité et la rapidité des communications, par la réduction des tarifs de transport, en un mot de lui créer des conditions d’égalité dans la lutte avec l’industrie étrangère. Dans tous les cas, la première chose à faire est de renoncer aux illusions ; le traité de commerce ne peut être dénoncé cette année par la raison bien simple qu’on ne fait pas une enquête sérieuse en quelques jours, qu’on n’enlève pas le vote de tarifs nouveaux au pas de course, surtout au milieu des préoccupations de toute sorte qui assiègent le corps législatif.

Qu’il s’agisse de politique ou de questions d’industrie et de commerce, la France est certainement aujourd’hui la nation la plus occupée de l’Europe, et elle n’a pas perdu le privilège de donner le mot d’ordre. En Angleterre même, c’est un irréconciliable Irlandais, un fenian, que les électeurs de Tipperary vont chercher dans sa prison pour l’envoyer au parlement. En Prusse, nos réunions publiques ont un succès d’imitation plus marqué encore. Récemment les socialistes de Berlin ont procédé dans une réunion à l’égard des progressistes du parlement prussien comme les meneurs du boulevard de Clichy à l’égard de nos députés de la gauche, et le dictateur de la démocratie radicale, M. Schweitzer, a publié un ordre du jour solennel où il déclare que la bourgeoisie a fait son temps, que les ouvriers socialistes représentent seuls d’une manière complète les libres aspirations du peuple allemand. Voilà qui est parler,