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mieux encore : en dehors de tous ces résultats de scrutin et de ces décompositions de suffrages, il y a l’instinct public qui s’est fait jour, qui, lui aussi, est une force, et qui a élevé sa protestation, si bien qu’à la fin tous ces révolutionnaires, les plus extrêmes, les plus violens, ont été obligés de s’adoucir, de se faire presque innocens, de désavouer toute idée de révolution violente. Les scrutins disent ce qu’ils peuvent et ce qu’on leur fait dire ; en réalité, tous ces suffrages jetés dans l’urne n’ont pas une signification aussi claire qu’on le pense, et beaucoup ne seraient-pas allés jusqu’à M. Crémieux, s’ils avaient cru à une révolution pour demain. — Mais quoi ! dira-t-on, n’oubliez-vous pas le plus essentiel ? M. Henri Rochefort n’a-t-il pas été élu, et ne résume-t-il pas à lui seul Paris, toute la France démocratique ? M. Henri Rochefort est certainement élu, quoiqu’il ne soit pas lui-même aussi victorieux qu’on l’aurait cru. Pour celui-là, il le fallait, comme dit le héros célèbre d’un célèbre vaudeville ; c’était une fantaisie à se passer, on ne s’amuse pas tous les jours du côté de Belleville, et maintenant le moins embarrassé des Parisiens, ce n’est pas à coup sûr l’heureux élu de la première circonscription. S’il n’y prend garde, M. Henri Rochefort ne pourra pas décrocher le soleil pour le servir à ses électeurs, et alors qu’arrivera-t-il ? Sa fortune est déjà en déclin. Il n’avait contre lui que ceux qui gardent un peu de bon sens ; aujourd’hui, à peine élu d’hier, le voilà abandonné de ceux qui l’ont le plus chaudement soutenu. L’un le traite lestement de nouveau converti de la démocratie qui doit éviter de faire parler de lui ; l’autre lui rappelle que, puisqu’il n’a pas eu le temps d’apprendre, le moment est venu pour lui de se mettre à l’école ; un troisième l’accuse d’avoir renié les amis de l’exil ; M. Ledru-Rollin le traite de haut en bas après avoir été traité de même. M. Henri Rochefort n’a plus, pour mettre la gaîté dans sa solitude, que M. Raspail : c’est beaucoup que la compagnie du vieux de la montagne ; mais, autre danger, M. Raspail ne verrait-il pas dans le jeune homme de la première circonscription un jésuite déguisé ? Ainsi finissent les plus brillantes fortunes ! M. Henri Rochefort est élu, et on n’en parle plus. Le résultat le plus frappant de la dernière campagne électorale a été d’amener les députés de la gauche à publier ce manifeste dont nous parlions, et qui n’a eu lui-même qu’une importance d’un instant, parce qu’il était moins l’expression d’une pensée politique coordonnée et réfléchie qu’un acte de circonstance.

Le manifeste de la gauche, et c’est là ce qu’il a eu de sérieux, de politique, le manifeste de la gauche a été, à un moment donné des dernières élections parisiennes, le désaveu éclatant de ce tourbillon de démagogie qui s’agitait dans les réunions populaires, des préméditations de violence, de ces étranges doctrines sur le mandat impératif qui feraient du député le banal commissionnaire du peuple ; il a été la