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Reste l’explication de l’activité volontaire. Encore ici il est facile de voir que l’école expérimentale confond les conditions des phénomènes avec leurs causes. Quand elle a montré, par le genre d’observation et d’analyse qui lui est propre, que l’acte volontaire a son antécédent dans un acte intellectuel, tout n’est pas dit sur la cause véritable du phénomène dont elle a constaté la loi. Et alors même qu’il serait prouvé qu’il n’y a pas une seule exception à cette loi, que toujours et invariablement l’acte volontaire est déterminé tantôt par un jugement de la raison, tantôt par un mouvement de la sensibilité, serait-on fondé à en induire que cette condition est la cause, et que l’acte n’est pas réellement libre ? Que l’observateur placé en dehors de la conscience en juge ainsi, rien de plus naturel. Ne pouvant voir la réalité elle-même, en ce qui concerne la libre spontanéité de nos actes, il en est réduit à juger de la causalité sur de simples apparences. Supposez deux sujets d’observation très divers au fond, un être libre et un être qui ne serait qu’une machine, et soumettez-le aux procédés de l’école expérimentale ; il est évident que, la scène extérieure étant la même dans les deux cas, la conclusion pour l’un et pour l’autre sera identique, quant à la nécessité des mouvemens de ces deux agens.

Mais c’est en cela que se trompe l’école expérimentale. L’observateur des phénomènes physiques, ne pouvant saisir que des apparences, n’a pas d’autre méthode que l’induction pour arriver à en dégager la réalité. N’atteignant pas directement les causes des phénomènes, il ne peut qu’en rechercher les lois, lesquelles ne se révèlent à lui qu’à la suite d’une laborieuse observation dont le Novum Organum a décrit tous les procédés. Et comme d’ailleurs il opère sur un monde livré à l’empire de la fatalité, il n’y a pas lieu de voir si l’intuition directe des causes ne montrerait pas la nature sous un jour différent. Lois ou causes, il n’est pas douteux que tout obéisse à une inflexible nécessité. L’observateur des phénomènes psychiques est dans une tout autre situation. S’il se borne, comme le font les psychologues de l’école expérimentale, à observer ces phénomènes du dehors, il sera toujours tenté de juger de la réalité par l’apparence ; mais si à ce genre d’observation qui lui fait voir les lois des phénomènes à travers leur succession, il joint cet autre genre d’observation qui plonge dans le for intérieur du sujet observé, il comprendra bien vite la nécessité de modifier les conclusions auxquelles il s’était laissé aller tout d’abord. Il sentira que les mêmes phénomènes peuvent se produire, les mêmes lois se manifester avec des caractères très différens en ce qui touche la liberté ou la nécessité de nos actes. L’expérience démontre, ainsi que le remarquent Stuart Mill et Littré, qu’il règne une telle constance, un tel ordre