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pour se heurter à l’ecueil placé par la destinée sur la route des despotes. A Rome, la question qui primait tout pour les césars était la question d’argent. Tant que leur trésor était plein, ils pouvaient satisfaire à la fois leurs appétits sans bornes et les appétits de la multitude. Dès que leur trésor était vide, les impôts ne suffisaient pas à le remplir : il fallait recourir aux confiscations, aux délations, aux crimes. Vespasien avait entassé des monceaux d’or, nous avons vu par quels moyens, pour que Titus s’en fît honneur et affermît sa dynastie. Toutefois cet or n’était pas inépuisable. Pendant deux ans, les coffres du Palatin sont restés ouverts à quiconque a tendu la main ; pendant deux ans, ils ont pu fournir à des prodigalités calculées et bientôt à des dépenses imprévues qui creusaient le gouffre. Des calamités publiques multiplièrent les brèches, l’éruption du Vésuve, un incendie qui dévora une partie de Borne, la peste. Titus montra la vigilance et la sensibilité d’un père ; mais déjà il était impuissant à réparer tant de désastres. Il fallut affecter au rétablissement des villes de la Campanie les biens des victimes qui n’avaient pas d’héritiers ; il fallut léguer à Domitien le soin de rebâtir la plupart des édifices du Champ de Mars, réduits en cendres ; quant aux pestiférés, on n’épargna pour eux ni les remèdes, ni les processions, ni les prières ; pendant ce temps, le trésor impérial se viciait toujours. Si Titus avait régné trois ans de plus, il était en face de la ruine, de courtisans insatiables, d’une multitude affamée, d’exigences et de besoins sans nom que l’empire avait fait naître, que l’empereur devait assouvir. Titus connaissait cette pente : il l’avait descendue et remontée librement pour gagner l’admiration des hommes ; peut-être y aurait-il glissé plus rapidement qu’un autre quand la fatalité l’y aurait poussé. Oui, la mort qui l’a ravi, quand il était encore riche, bienfaisant, populaire, était un présent des dieux ; elle l’a soustrait aux luttes, elle a consacré sa gloire ; elle a trompé la furie vengeresse qui empoisonne la vieillesse des maîtres du monde.

Vespasien avait pour excuse de n’avoir pas désiré la pourpre ; mais Titus, qui l’a poursuivie d’une ardeur effrénée, qu’a-t-il fait pour la mériter ? Il s’est donné un rôle et l’a bien joué, prenant pour modèle le fondateur même de l’empire : il n’a créé ni un système nouveau ni une seule institution. Egoïste sans scrupules, il a cru tous les moyens bons pour satisfaire son ambition. Il a frappé et caressé tour à tour les hommes, non pour les corriger ni pour les rendre heureux ; il les frappait pour leur paraître fort, il les caressait pour les désarmer. Tant que son intérêt personnel le lui a permis, il a été cruel, impudent, rapace, calculant froidement ce qu’un crime lui apportait de puissance, ce que la débauche élégante lui donnait