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de surprendre des condamnations qu’il savait rendre irrévocables. L’histoire de Sabinus et d’Eponine est célèbre. Avant même que Vespasien fût à Rome, le Gaulois Sabinus s’était proclamé césar à la faveur des guerres civiles. Vaincu, réfugié sur le territoire de Langres, sa patrie, caché dans un tombeau, nourri et consolé par sa femme Éponine, devenu père de deux jumeaux, découvert après neuf ans, amené à Rome, le malheureux avait expié suffisamment ses prétentions par une réclusion volontaire et des angoisses qui valaient un supplice ; on pouvait lui pardonner sans péril. Vespasien, ému par les prières d’Éponine et la vue de ses petits enfans, versait déjà des larmes ; Titus le rappela à son devoir. Que devenaient la dynastie future, la majesté du pouvoir, le secret de l’empire, si les hommes voyaient impuni, vivant, honoré, celui qui avait usurpé la pourpre, ne fût-ce qu’une heure ? Sabinus périt. Helvidius Priscus périt de même, condamné d’abord par Vespasien, gracié aussitôt ; mais déjà le chef des prétoriens tenait sa proie. En vain l’empereur donna l’ordre formel d’épargner Helvidius ; on lui répondit qu’il était trop tard, et, après l’avoir calmé par ce mensonge, on procédait à l’exécution.

Helvidius Priscus était le chef du parti stoïcien. Cendre de Thraséa, continuateur de sa vertu et de son courage, il voulait le rétablissement de la liberté et le règne des lois. Tribun quand Vespasien monta sur le trône, il ne consentit à lui donner aucun titre, continua de l’appeler par son nom, comme s’il fût resté un simple particulier. Vespasien commença par rire de cette hostilité, il y répondit par des plaisanteries et des quolibets ; mais derrière Helvidius il y avait les philosophes, les orateurs, les républicains, les honnêtes gens, tout un parti que l’usurpation d’un fils d’usurier ne pouvait réconcilier avec le despotisme. Mucien, l’effronté Mécène de la dynastie, et Titus s’alarmèrent d’une lutte où ils étaient sûrs d’être vaincus. L’abstention du parti stoïcien avait fait tomber Néron ; elle pouvait être aussi funeste à la famille Flavia. Tout usurpateur conçoit contre les âmes droites et les bouches sévères une haine instinctive, il sent que chacun de ses actes sera jugé, il craint que son hypocrisie ne soit démasquée, le silence même lui paraît une formule suprême du mépris. Titus et Mucien poussèrent à une répression rigoureuse. Les philosophes furent chassés de Rome, le sang coula, la guerre éternelle de la tyrannie contre la conscience et du glaive contre la pensée libre recommença. Helvidius Priscus, Dionysius, Héras, n’en furent pas les seules victimes.

Tout en marchant à son but avec cette implacable netteté, Titus ne négligeait de satisfaire ni une avidité qui était dans le sang, ni ses passions. Après les monstruosités des empereurs qui l’avaient