Page:Revue des Deux Mondes - 1869 - tome 84.djvu/70

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

épargne par an, sur ce qu’il aurait à payer pour ce nombre de soldats de ligne, 3,980,000 florins. Cette somme équivaut aux frais de casernement et d’entretien dont il se débarrasse pour les faire supporter aux confins. À cette dépense, il faut encore ajouter la perte de travail utile que représente le temps employé par les hommes en exercices et patrouilles. Évaluons la journée de chaque Gränzer à 30 kreutzers ou 1 fr. 10 c, et comptons cent jours de service commandé par an, ce sera encore à la fin de l’année un déficit de 2,000,000 de florins; on peut les regarder comme perdus, puisque la population, avec le même nombre de bouches à nourrir, est obligée de se passer du surcroît de récoltes et autres produits qu’auraient donnés ces bras, s’ils n’avaient pas été enlevés à l’agriculture. Ajoutées l’une à l’autre, la somme épargnée sur l’entretien des troupes et celle qui représente le temps dérobé au travail donnent un total de près de 6 millions de florins qu’il faut inscrire au passif du peuple des confins. Le dégrèvement de l’impôt foncier qui leur est accordé ne les fait rentrer que dans une très faible partie de ces avances, et les impôts indirects, depuis 1850, y sont, à très peu de chose près, les mêmes que dans le reste de la monarchie. Les gens de la frontière sont soumis aujourd’hui, comme leurs voisins, au droit du timbre, aux monopoles du tabac et du sel, aux autres taxes de consommation.

Il n’est pas étonnant que l’on plie sous un pareil fardeau : aussi l’accroissement de la population est-il loin de suivre ici la progression ordinaire. On a même constaté que de 1847 à 1859 il y avait eu, sur l’ensemble des confins, une diminution de 24,750 âmes. Ce chiffre est d’ailleurs loin de représenter l’appauvrissement réel. Des calculs établis d’après les recensemens opérés dans les provinces voisines ont démontré que la population des confins pendant cette période aurait dû, si elle avait été placée dans des conditions normales, s’augmenter d’environ 10,000 âmes par année. Ce serait donc, en une douzaine d’années, près de 150,000 hommes qu’aurait coûtés à l’Autriche le régime qu’elle impose aux habitans des confins.


IV.

Le territoire militaire forme une étroite bande de terrain qui, en 1848, avant la dissolution du corps des zeklers ou régimens de la frontière transylvanienne, avait une longueur de 1,681 kilomètres sur une largeur moyenne de 29 environ. La ligne de démarcation qui le sépare des provinces voisines est toute factice. Les caractères naturels et les aspects pittoresques en sont donc, dans la partie occidentale, ceux de la Dalmatie, de l’Istrie et de la Carniole; au centre, ils se