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comprenant une réserve de 1,500 hommes qui reste en arrière pour être versée au fur et à mesure dans les cadres. Le troisième bataillon, qui représente la réserve proprement dite, est alors substitué aux deux premiers dans le service intérieur. Si celui-ci était également appelé hors du pays, il serait remplacé par le quatrième bataillon ; mais on n’en vient guère là. Les hommes de ces deux derniers contingens ne forment pas un corps régulièrement monté; ils ne reçoivent de l’état que le fusil et les cartouches.

Dans un moment de suprême effort, les confins pourraient donc mettre sur pied une armée de 100,000 hommes; mais c’est seulement à 60,000 que l’on évalue le nombre des Gränzer équipés et prêts à entrer en campagne. Si l’on prend pour le total de la population le chiffre de 1,082, 000 âmes que fournit le recensement de 1857, il y aurait donc dans les confins 1 soldat par 18 habitans. Au cas où la même proportion existerait dans les autres provinces de la monarchie, les 36 millions d’hommes que compte la monarchie autrichienne donneraient jusqu’à 2,160,000 soldats. Or l’empereur et roi, lorsque son armée était sur le pied de guerre, n’avait, avant la dernière loi militaire, que 550,000 hommes, et 380,000 en temps de paix. Sur ces effectifs, les confins, si on les traitait comme le reste de l’empire, n’auraient dû figurer que pour 15,000 hommes dans le premier cas et 10,856 dans le second.

Les défenseurs de l’institution ne peuvent méconnaître l’éloquence de ces chiffres; mais ils allèguent que la population des frontières paie moins de taxes. Une première réponse se présente tout d’abord à l’esprit : l’impôt du sang et celui qui ne frappe que la bourse n’ont point de commune mesure. Aucun dégrèvement ne saurait compenser les pertes et les souffrances morales que chaque campagne inflige à un peuple chez qui toute famille a un ou plusieurs hommes à la fois sous le drapeau. N’ayant rien à gagner pour attendre, l’homme des confins se marie très jeune; parmi ceux qui quittent le pays quand éclate la guerre, il en est bien peu qui n’y laissent femmes et enfans. Les troupes des confins coûtent moins au trésor; aussi est-ce souvent celles qui sont le plus exposées par les généraux et le plus maltraitées par l’ennemi. Les guerres d’Italie et de Hongrie auraient fait dans les confins, dit-on, 30,000 veuves et 60,000 orphelins.

Il y a plus : il est aisé de prouver que, malgré ces exemptions et ces privilèges, la population des confins supporte une énorme surcharge pécuniaire. Les quatre-vingts régimens de ligne de l’armée autrichienne forment en temps de paix un total de 128,900 hommes, qui coûtent 20,823,000 florins. La dépense qu’imposent au trésor les quatorze régimens de la frontière est de 2,464,000 florins pour 60,000 hommes. Ne comptons même que 40,000 Gränzer, l’état