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Mandane. La poésie n’ajoute pas seulement à l’histoire, ce qui est son droit, elle la détruit. Les contradictions finissent même par être plaisantes. Quelque respect qu’on ait pour le génie, on doit plus de respect encore à la vérité. Il est donc nécessaire de rétablir les faits.

Bérénice était née un an après son frère, l’an 28 de l’ère chrétienne. Fiancée d’abord, sinon mariée, à Marc, fils d’Alexandre, procurateur impérial, elle avait épousé, après la mort de Marc, son oncle Hérode, roi de Chalcis : elle avait alors seize ans[1]. Elle eut de lui deux fils, Berenicianus et Hyrcan[2], et devint veuve quatre ans plus tard. Elle vécut alors avec son frère dans une intimité qui fit croire à un inceste : l’inceste était aussi fréquent chez les princes de l’Orient que dans la famille des césars. Pour mettre un terme à des bruits injurieux, Bérénice consentit une troisième fois à se marier. Elle était recherchée par un roi de Cilicie, Polémon, qui convoitait ses richesses beaucoup plus que sa beauté, dit l’historien Josèphe[3]. Polémon était païen ; Bérénice exigea qu’il embrassât la religion juive et se fît circoncire. L’opération fut subie, et l’hymen fut célébré. Bérénice se dégoûta promptement du pays à demi barbare où elle se trouvait transportée ; sa conduite était loin d’être irréprochable ; Josèphe parle même de ses dérèglemens[4]. Elle reprit ou acheta sa liberté, revint avec son frère, partagea sa bonne et sa mauvaise fortune, avertit les gouverneurs Florus et Cestius des fautes qu’ils commettaient, les supplia en vain, se compromit, vit incendier son palais par les révoltés, et se réfugia auprès des Romains. Dès que Vespasien eut touché le sol de la Judée, elle accourut auprès de lui, et se concilia par la magnificence de ses présens un parvenu qui manquait de tout. Dès que Titus fut arrivé d’Alexandrie, où il avait rallié la 5e et la 10e légion, elle n’eut point de peine à séduire un jeune homme amoureux des plaisirs[5].

Bérénice avait quarante ans lorsqu’elle connut Titus. Elle était encore belle et possédait tous les charmes qu’un art raffiné peut ajouter à la beauté. Chez les femmes de l’Orient, la fraîcheur du visage est inaltérable, parce qu’elle se compose tous les matins devant le miroir à l’aide du pinceau. Aspasie, Cléopâtre, les courtisanes et les reines célèbres de l’antiquité ont pu conserver ainsi un renom de perpétuelle jeunesse. La noblesse du type juif, des cheveux admirables, des formes que la maternité n’avait point altérées et que l’âge avait portées à leur juste plénitude, constituaient le prestige

  1. Photius, Bibliothèque, 238. Voyez Josèphe, édit. Didot, t. II, p. XII, ligne 13.
  2. Josèphe, Guerre des Juifs, livre II, chap. 11, § 6.
  3. Antiquités juives, livre XX, 7, 3.
  4. Ibidem.
  5. Lœtam voluptatibus adoloscentiam egit. Tacite (Histoires, livre II, § 1).