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accumulé sur les frontières un flot immense de barbares, excité leur convoitise, aguerri leur jeunesse, jusqu’au jour où, écrasée par l’invasion de ces races nouvelles, elle est devenue impuissante à défendre même le territoire de Rome.

La nouvelle de la chute de Néron et de l’avènement de Galba émut Titus. Il avait connu Galba dans son enfance ; il supputait son grand âge ; il savait qu’il n’avait point d’enfans. Il partit dès qu’il le sut arrivé d’Espagne. Le but avoué de son voyage était de féliciter le nouveau césar et de solliciter les honneurs pour lesquels il se croyait mûr. Le but non avoué était de plaire au vieillard et de se faire adopter par lui. Bientôt ce ne fut un secret pour personne. Les amis de Titus ne cachaient point leurs espérances ; ses flatteurs faisaient retentir publiquement leurs vœux. Dans tout l’Orient, ce fut une opinion établie. « Personne ne paraissait plus digne de régner que ce jeune homme, dont l’esprit était à la hauteur de la plus brillante fortune, et dont la grâce du visage était relevée par un air de grandeur. » C’est Tacite qui s’exprime ainsi dans sa reconnaissance pour cette dynastie qu’il a servie et qui l’a poussé dans la carrière des honneurs. Racine s’est inspiré des paroles de Tacite autant que de la majesté de Louis XIV, lorsqu’il a dit :

Et dans quelque humble état que le sort l’eût fait naître,
Le monde en le voyant eût reconnu son maître.


Mais Titus avait trop d’habileté pour se fier à de vaines apparences : il comptait bien plus sur les légions de son père, sur la crainte qu’il inspirerait pour faire pencher la balance en sa faveur. Ce qui achevait d’enflammer l’ambition du voyageur, c’étaient les présages, les accidens heureux, les oracles, que les anciens interprétaient comme un signe de la volonté des dieux. Tout semblait promettre le trône à Titus, même la croyance invétérée des Juifs, qui, après avoir crucifié Jésus, attendaient toujours leur Messie, et proclamaient que « les maîtres de l’univers devaient sortir de Jérusalem. » Pour les Romains, ces maîtres de l’univers ne pouvaient être que les généraux de l’armée de Judée triomphans.

Le plan de Titus fut brusquement déjoué. En arrivant à Corinthe, il apprit à la fois l’assassinat de Galba, la proclamation d’Othon et la révolte de Vitellius. Que faire ? Aller à Rome, c’était se livrer aux hasards de la guerre civile et devenir un otage entre les mains d’un de ses adversaires. N’y pas aller, c’était offenser le vainqueur et lui refuser l’hommage. Titus se consulta longuement avec ses amis ; on pesa les sujets de crainte et d’espérance, l’espérance l’emporta ; on se résolut à ne plus garder de ménagemens. Othon et Vitellius, tous deux lâches et incapables, ne pouvaient occuper fortement le