Page:Revue des Deux Mondes - 1869 - tome 84.djvu/669

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

point n’est plus du domaine de l’histoire naturelle. Ce serait entrer dans la vie de l’homme et de l’écrivain, et on ne peut ici que glaner après M. Taine et M. Saint-Marc Girardin. Le premier, bien fait assurément pour parler de La Fontaine, car nul ne lui ressemble moins, a écrit un livre spirituel, abondant, où mille traits sont montrés dont La Fontaine ne se doutait guère. M. Saint-Marc Girardin, très digne, lui aussi, de parler de La Fontaine, car peut-être lui ressemble-t-il plus que personne, lui qui sait revêtir de tant de grâce les vérités de sens commun et exprimer mieux que tout le monde ce que pense tout le monde, a publié les leçons qui avaient obtenu ce succès, toujours le même et toujours nouveau, qui chaque année l’attendait à la Sorbonne. L’admiration que professent ces deux critiques si divers, la passion que le fabuliste a inspirée à des générations entières, aux femmes qu’il aimait tant, aux enfans qu’il ne pouvait souffrir, sont grandement méritées. Il faut quelque effort pour ne pas s’abandonner à lui en le lisant, et pour rechercher les imperfections de cet écrivain parfait, les défauts de ce poète sans défauts.

On a voulu établir une distinction entre les animaux que La Fontaine a lui-même observés et ceux qu’il prenait pour ainsi dire tout faits chez les anciens. La plupart de ses fables sont des traductions, et il pourrait s’en prendre à Ésope ou à Phèdre de ses erreurs. L’excuse ne serait pas excellente, car il ne s’en tenait pas à une imitation tellement servile qu’il ne pût corriger quelquefois ses devanciers. Il était plus malaisé d’ajouter à leur texte tant d’esprit qu’un peu d’histoire naturelle. Les modernes n’ont guère d’autre avantage sur les anciens que des connaissances précises, et, comme on n’est jamais sûr de reproduire les qualités de ses modèles, on doit éviter leurs fautes. La Fontaine, il est vrai, peut prendre les défauts des autres, il est certain d’avoir des qualités qu’ils ignorent. Quoi qu’il en soit, la distinction peut être juste : il aura pris le loup, le renard, le lion d’Ésope et non point ceux de la nature, comme Racine mettait en scène les héros d’Euripide plus que ceux de l’histoire. Les uns comme les autres sont des personnages de convention ; mais Racine donnait aux siens les sentimens éternels du cœur humain dans la langue pure du XVIIe siècle. C’étaient des hommes encore, et ils ne pensent dans ses tragédies que comme des hommes. Son tort est même de les trop rapprocher de nous, de les rendre trop semblables à ce qu’il avait sous les yeux. Il plaçait les héros farouches de l’antiquité au milieu de la cour polie de Louis XIV. Leurs actions étaient violentes, leur âme et leur langage étaient doux ; sous l’habit grec, ils avaient le cœur français. Racine ne s’éloigne donc pas des modèles qu’il s’est choisis. Si La Fontaine eût suivi ce système, il aurait, sous le nom et l’apparence des animaux