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Pourquoi donc des hommes de cœur désespéreraient-ils de l’avenir ? Nul n’est en possession de prédire ce qui adviendra. L’histoire nous montre d’autres civilisations où la notion de l’art a été à la portée de l’artisan. Le monde moderne n’aura-t-il pas autant de force que le monde ancien, et ne pourrons-nous réaliser ce qu’ont fait les Grecs, nos ancêtres pour les lettres, les arts et les sciences ? Celui qui fonda l’institut des frères eut quelque espoir d’arriver à l’éducation du pauvre à une époque où des hommes généreux n’entrevoyaient pas qu’elle fût possible. Voltaire longtemps plus tard redoutait les écoles ; il le dit dans son Dictionnaire philosophique. Il est vrai que par une sorte d’inconséquence qui lui fait honneur il en établissait chez lui.

L’un des secrétaires, M. Grangedor, signale un vice qui mérite d’être mentionné, celui des écoles qui veulent être trop pratiques. On y fait exécuter aux élèves des travaux de forme commerciale sur bois ou sur métal, sur porcelaine ou sur faïence, avant qu’ils sachent manier un pinceau ou un crayon. Ces soi-disant petits prodiges, formés d’une façon artificielle, subissent bientôt un arrêt de développement. Ils n’avancent plus dès qu’ils sont arrivés à la moitié, au quart du chemin à parcourir. Pour tous ceux qui ont pris la peine de regarder les envois des écoles des filles, M. Grangedor n’a que trop raison. Cette omission des études préalables, qu’on néglige sous prétexte de gagner du temps, aura pour conséquence immédiate d’abaisser le niveau de l’art chez tout individu qui en est victime. Il peut être assuré qu’il ne gardera en mains qu’un gagne-pain insuffisant ; il ne sera qu’un ouvrier de métier, inconscient et secondaire, et verra son salaire fort au-dessous de ce qu’il aurait dû être. Le congrès a pris ces remarques en considération. Il a exprimé le désir que l’enseignement général l’emportât au début sur toute application industrielle sollicitée par la commande. Il a déclaré en outre à la suite de cette séance qu’il n’admettait pas le principe actuel de l’enseignement aux deux premiers degrés. On y fait un usage trop exclusif du modèle imprimé. On n’y laisse pas assez le choix des moyens d’exécution. Il ne recommande ni ne proscrit aucune méthode ; il se contente de mettre en garde contre celles qui prétendent dispenser de l’observation directe et personnelle-et celles qui substituent l’étude de l’effet pittoresque, du caractère accidentel, à la recherche du caractère permanent de la forme. Il a demandé enfin l’extension de l’enseignement du dessin dans les écoles normales à l’aide de professeurs spéciaux. Dans plusieurs départemens, assure-t-on, on voit la même personne chargée de ce cours en même temps que de ceux d’agriculture ou de mathématiques.

Les points les plus intéressans de la séance suivante, la dernière du