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spectre lumineux on voit apparaître une ligne noire très prononcée, résultant de l’absorption opérée par les atomes du sodium ; mais cette ligne n’est point bornée par deux raies parallèles. Aux couches où la vapeur de sodium est le plus dense correspond une épaisseur plus grande de la raie noire ; là où l’absorption est moins forte par suite d’une plus faible densité du sodium, la raie s’amincit.

S’il est vrai que les longueurs et les formes des raies chromosphériques dessinent en quelque sorte les pressions de l’enveloppe gazeuse, on peut en inférer que les parties externes de l’astre central sont le siège d’une activité cosmique qui contraste singulièrement avec le calme de la surface et de l’atmosphère terrestres. Rien de plus inégal, de plus tourmenté que cette atmosphère solaire qui roule des montagnes énormes, se dresse en protubérances gigantesques, se creuse, se déchire de mille façons. La surface de la photosphère n’est pas plus tranquille ; tantôt elle se hérisse, se soulève avec une puissance extrême, et tantôt elle se remplit de gouffres, de véritables abîmes. Parler de vagues de tempêtes, c’est ne donner qu’une idée bien appauvrie de tels mouvemens. M. Lockyear a calculé qu’il y a des colonnes verticales de gaz hydrogène qui montent avec une vitesse de 56 kilomètres par seconde, et des cyclones horizontaux qui avancent avec une vitesse trois fois plus grande encore. Quels ouragans peut-on mettre en comparaison avec des transports de matière aussi rapides ?

Le plus léger déplacement, la moindre courbure d’une raie spectrale est le signe d’un transport extraordinairement rapide du corps lumineux. Pour le comprendre, on peut comparer le corps lumineux à un corps sonore. La note d’un sifflet de locomotive change pour notre oreille suivant que la locomotive s’éloigne ou se rapproche. Cela vient de ce que dans les deux cas le nombre de vibrations qui entre dans l’oreille en une seconde n’est pas le même. Si un nageur avance contre la vague, le mouvement propre qui l’entraîne fera que la vague lui semblera plus courte ; s’il nage avec la vague, celle-ci lui paraîtra plus longue. Les vibrations sonores ou lumineuses sont des vagues qui ébranlent nos sens : la qualité est affectée lorsque les corps d’où elles émanent ont un mouvement très rapide. On comprend par là que, si un corps lumineux, une étoile, une protubérance solaire a un mouvement propre dont la vitesse soit comparable à celle de la lumière, la qualité de la lumière y changera pour nos regards, et ces variations se décèlent dans le spectre par un léger déplacement des raies. Cette méthode a déjà été appliquée en Angleterre par M. Huggins à l’étude des mouvemens propres de Sirius. Elle permet d’étudier les mouvemens des