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mouvemens, d’en déceler la nature chimique, un jeune astronome anglais, M. Norman Lockyear, s’appliquait au même problème, et réussissait à le résoudre par un moyen tout semblable. Depuis deux ans déjà, et presque contre toute espérance, il cherchait à étouffer avec des prismes l’éblouissante lumière de la photosphère, afin d’explorer les parties environnantes. Il avait indiqué son projet dans un mémoire communiqué le 11 octobre 1866 à la Société royale de Londres. « Le spectroscope, écrivait-il, ne pourrait-il pas nous donner la preuve de l’existence des flammes rouges (ce sont les protubérances) dont les éclipses totales nous ont révélé la présence dans l’atmosphère solaire, et qui dans d’autres momens échappent encore à tous nos moyens d’observation ? » Un premier spectroscope construit par les soins de M. Lockyear ne permit d’apercevoir aucun corps gazeux dans l’enveloppe solaire : l’astronome anglais en fit construire un second plus puissant, et le 20 octobre 1868 il aperçut pour la première fois trois raies brillantes avec son nouvel instrument.

L’observation de M. Lockyear tut connue du monde savant plus tôt que celle de M. Janssen ; mais celui-ci conserve un droit de priorité incontestable, puisqu’il aperçut dès le 19 août les raies spectrales des protubérances, que M. Lockyear ne vit que le 20 octobre ; la gloire d’avoir conçu la nouvelle méthode, si fertile, nous le verrons, en conséquences importantes, ne saurait toutefois se scinder : le Français la conçut en une seconde et sur-le-champ l’appliqua. L’Anglais la découvrit avec plus d’effort, s’y attacha avec ténacité, et en dépit de premiers efforts stériles la fit triompher. Étrange duel de l’œil humain et de cet astre qui aveugle et tue le regard ! le physicien éteint le soleil, son regard se promène aujourd’hui librement sur toute la surface du disque lumineux pour y faire des découvertes ; ses instrumens décèlent tous les mouvemens de l’atmosphère solaire, toutes les tempêtes, toutes les perturbations. Bientôt peut-être ils en mesureront la pression comme le baromètre mesure la pression de l’atmosphère terrestre.

Les deux atmosphères du soleil et de la terre sont à peine comparables : l’atmosphère terrestre est troublée, il est vrai, par des vents violens, des cyclones, traversée de courans perpétuels ; mais sur des parties considérables de la surface terrestre ces courans sont très réguliers, les tempêtes les plus violentes ne font baisser la colonne de mercure dans le baromètre que d’une longueur assez insignifiante. Les variations de la pression autour du soleil sont bien plus soudaines et plus intenses, car les protubérances ne sont point des nuages pareils à ceux qui s’amassent au-dessus de nos mers ; ce sont plutôt des éruptions violentes, des jets d’un gaz incandescent