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en apparence, prennent vie. Bien du temps s’est écoulé depuis que Newton apprit à décomposer la lumière solaire en l’étalant, par suite de la réfrangibilité inégale des divers rayons, sur une large surface, sur ce long ruban coloré qu’on nomme le spectre ; Fraunhofer découvrit parmi les bandes lumineuses des traits noirs si réguliers qu’ils semblent tracés au tire-ligne. Que signifiaient ces zones d’obscurité au milieu des couleurs de l’arc-en-ciel ? Pourquoi certains rayons faisaient-ils défaut dans cette série de rayons qui va depuis le rouge jusqu’au violet ? Fraunhofer le chercha, et il fut sur le point de le découvrir. Quand on regarde à travers le prisme une flamme qui contient du sodium en vapeur, on aperçoit sur le spectre deux raies jaunes très brillantes, voisines l’une de l’autre. Ces raies brillantes sont caractéristiques du sodium ; elles en décèlent la présence d’une façon certaine. John Talbot, un physicien anglais, eut le premier l’idée de faire pour des flammes artificielles ce que Newton avait fait pour le soleil. Il analysa avec le prisme des feux colorés de toute espèce, notamment ceux qu’on nomme les feux de Bengale, et il remarqua que les spectres de ces feux, au lieu d’être rayés de noir comme le spectre solaire, consistent au contraire en rayures brillantes qui se détachent sur un fond assez obscur. Il tira de son observation l’induction suivante : « l’observation du spectre prismatique d’une flamme peut y faire découvrir certaines substances qu’on ne pourrait découvrir autrement que par une laborieuse analyse chimique. » Dans cette phrase, on peut trouver toute l’analyse spectrale, mais plutôt à l’état de pressentiment que de méthode. Fraunhofer, avons-nous dit, avait observé la flamme du sodium et son spectre, qui consiste en deux raies jaunes brillantes. Comparons ces deux raies jaunes à deux notes sur un clavier ; — les physiciens leur donnent des noms, les appellent les raies A, B, C, D, etc., de même que les musiciens disent ut, mi, sol, etc., pour marquer certains degrés sur l’échelle des sons ; — plaçons ce clavier sodique en face du clavier des rayons solaires. Les deux raies jaunes D du sodium se placeront en face de la large bande jaune au spectre, et sitôt que les réfrangibilités et par conséquent les nuances se correspondront d’une façon absolue, on pourra remarquer que précisément en face des deux raies jaunes du sodium il y a deux raies noires dans le spectre solaire. Fraunhofer le premier fît cette curieuse observation ; mais il n’en tira point de conséquences, il ne découvrit point par quelles raisons les vibrations lumineuses du sodium manquent dans la lumière solaire.

Il était réservé à M. Kirchhoff de pénétrer ce mystère. Le savant allemand opéra de la manière suivante : il produisit d’abord un spectre solaire très pâli, très élargi, où les deux raies noires dites D